Paysans hors champ

Reclaim the fields, c’est un campement européen réunissant paysans sans terre et collectifs se bagarrant pour une réelle souveraineté alimentaire. Début octobre, ils étaient trois cents sur la ferme autogérée de Cravirola (Hérault). Objectif : arracher partout le droit à l’accès à la terre.

« On a besoin d’aide à la cuisine ! We need people for the kitchen ! Se necesita ayuda en la cocina ! » Faire manger trois cents personnes, c’est coton. Heureusement, il y a toujours des volontaires. Et comme dit Ben, maraîcher en Ardèche, « on échange autant en pelant des légumes que sous le chapiteau où on discute comment sortir du carcan de l’agriculture industrielle ». Les débats sont traduits en trois langues grâce aux interprètes et au matériel mis à disposition par Via Campesina1. « Les gens se repèrent, se rencontrent, discutent en petits groupes et se sentent confortés dans leurs luttes locales comme dans leurs projets d’installation », se félicite Ben. Il a luimême affûté le programme.

Chaque jour, un nouveau thème est décliné en ateliers, puis en assemblée. Quand Ben demande de la « discipline révolutionnaire », tout le monde s’amuse de cette expression d’un autre âge. Délégué syndical de la Confédération paysanne à la ferme autogérée des Caracoles de Suc, il assure que « Reclaim the Fields, c’est pour que les gens s’organisent avec leurs propres méthodes. Notre génération a besoin de réinventer son syndicalisme. Les campements, qui fonctionnent sur une base horizontale, vont dans ce sens ». Romuald et Camille, récemment installés, participent au campement. Il y a peu, ils habitaient Rouen et Romuald était salarié. « On pourrait traire des chèvres ailleurs. C’est par attirance pour la vie collective en milieu rural que nous nous installons aux Caracoles. Ce n’est pas pour fuir la ville, mais pour chercher un truc que nous n’avions pas dans la vie citadine, frénétique et facile. On ne souhaite pas non plus s’isoler du monde. » La prochaine étape, pour eux, c’est la mise en commun des moyens financiers et des biens. Les Caracoles appartiennent à un regroupement de trois fermes, dont les collectifs de locataires ont la propriété d’usage, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas s’enrichir grâce à une revente juteuse des hectares. Ici comme partout, les paysans peinent à accéder à la terre. « Personne ne veut nous céder des baux ruraux », déplore Ben. Néanmoins, pour y parvenir, certains occupent, d’autres montent des SCI, des GFA ou des SAS2, comme Terres Communes. Ils sollicitent parfois aussi la Foncière Terre de Liens3, une structure d’actionnariat solidaire qui aide les jeunes à s’installer. Guy, un producteur de lait retraité, a ainsi témoigné que Terre de Liens lui a permis de louer à quatre « néopaysans » les terres qu’il a mis quarante ans à acheter. L’un des quatre est paysan-boulanger, le métier que Marie et Mikaël veulent faire. Ils vont se former sur le tas près de Montauban. « Venir ici est important pour nous, car on ne conçoit notre intégration au monde paysan que par le réseau », glissent-ils. Mika et Laurent ont pour projet de produire des légumes et du miel. Ils ont déjà commencé dans un hameau abandonné que les parents de Laurent leur prêtent. L’apiculteur tente une métaphore osée pour décrire le campement : « Après s’être fertilisés les uns les autres comme des abeilles reines, on repart fonder des colonies partout en Europe ! » Histoire de marquer le coup avant de se disperser, une centaine de paysans en essaim piquera sur Montpellier pour occuper au petit matin la SAFER Languedoc-Roussillon4

Voir CQFD n°64 et http://www.reclaimthefields.org/fr/...à-la-safer


1 Organisation internationale de paysans.

2 Sociétés civiles immobilières, groupements fonciers agricoles et sociétés par actions simplifiées.

3 La Foncière est un outil d’investissement solidaire destiné à collecter de l’épargne et à acquérir des terres pour installer ou maintenir des porteurs de projets agri-ruraux respectant la charte de Terre de Liens.

4 Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.

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