Nadjib, 19 ans, passe en comparution immédiate au TGI de Lyon, le 29 mai 2013. Le tribunal l’accuse d’avoir dérobé un portefeuille, dans une entreprise, puis d’avoir abîmé une porte coupe-feu pour sortir.
« J’ai jamais dégradé de porte », déclare Nadjib à la lecture des procès-verbaux. Une vingtaine d’inscriptions figurent sur son casier judiciaire, toutes pour vol ou stupéfiants. Il est sous le coup d’une procédure de sursis mise à l’épreuve au moment de l’interpellation, en lien avec une précédente affaire. « Le Spip [1] note que vous n’avez plus répondu à ses convocations après le quatrième rendez-vous, pourquoi ? » interroge la juge. La maman de Nadjib, assise dans la salle, prend la parole d’une voix fatiguée : « Depuis notre déménagement les convocations sont envoyées à une mauvaise adresse. » La juge mentionne que Nadjib est atteint de schizophrénie et interroge sa mère sur la vie quotidienne à la maison et la raison pour laquelle il ne va pas aux rendez-vous du Spip : « Il est normal, il est pas normal, un jour ça va, un jour ça va pas, ce jour-là, ça ne va pas et il ne fait pas le rendez-vous. »
Puis, le tribunal interroge directement Nadjib : « Vous êtes schizophrène, comment ça se passe ?
– Je prends des médicaments et des injections au Vinatier 2, deux fois par mois.
– Non une fois par semaine, madame, coupe sa mère, le lundi.
– Sauf ce lundi, précise Nadjib.
– Pourquoi ? demande la juge.
– Euh…
– Il n’a pas envie de sortir, je vous dis la vérité madame. Á la maison, il parle avec personne, il n’aime personne, ne supporte pas qu’on passe devant lui », se lamente sa mère.
La juge note que le médecin du Vinatier trouve Nadjib « très désorganisé ».
Tandis que Nadjib tente de glisser : « Me mettre en prison c’est pas une bonne idée, pour quelqu’un de malade c’est pas un endroit où aller. » La juge feint ne pas entendre sa remarque et lit quelques bribes de l’expertise psychiatrique : « Schizophrénie… altération du discernement mais pas abolition… symptôme stabilisé quand le suivi est régulier… » Et elle passe à l’interprétation : « Votre conscience est un peu altérée mais pour autant vous êtes responsable, tous les schizophrènes ne commettent pas d’infraction. Vous souvenez-vous avoir déjà été condamné ici, dans cette salle ?
– Oui, pour quelque chose que j’ai pas fait.
– Le tribunal vous a tout de même condamné à un mois de prison ferme », rétorque la juge.
Elle se replonge ensuite dans les procès-verbaux : « … a restitué le portefeuille aux employés présents puis s’est enfui… Les battants de la porte incendie ont été forcés, l’entreprise demande 8 000 euros au titre du préjudice subi.
– C’est pas moi, j’ai jamais mis les pieds là-bas, j’ai jamais été là-bas ! »
C’est au tour du procureur de prendre la parole et il lâche d’une voix monocorde : « Il a quelques problèmes psychologiques mais ça n’excuse pas tout. Il est dangereux, très dangereux s’il ne prend pas son traitement. Il doit être écarté de la société de façon durable. […] Il ment, il nie l’évidence, ce qui montre une certaine astuce car un vrai malade reconnaît tout de suite. […] La peine plancher est de deux ans pour ces faits, je requiers 24 mois de prison dont 12 mois avec sursis mise à l’épreuve, avec obligation de soin, assorti d’un mandat de dépôt, pour éviter le renouvellement des faits. »
Nadjib intervient à de nombreuses reprises lors des réquisitions du procureur pour demander une expertise psychiatrique. « Je vous donnerai la parole après la plaidoirie de votre avocat », lui lance la juge.
Son avocat est un habitué des comparutions immédiates et des mauvais résultats : « J’assiste depuis deux ans Monsieur dans des affaires similaires. […] On est désarmé devant une telle situation, il n’a aucune protection, il est abandonné par le père et ses trois frères et sœurs sont quasiment livrés à eux-mêmes. Quelle est la solution ? Il peut être victime d’abus, dans son quartier comme en détention, comme cela s’est déjà produit. Il a besoin d’un suivi médical sérieux. Le procureur demande 24 mois ? Je ne sais pas quelle est la solution, il faut qu’il s’en sorte, je ne suis pas là pour plaider la prison. »
Contrairement à ce qu’elle a annoncé la juge ne redonne pas la parole à Nadjib. Jugé en 36 minutes, le jeune homme est renvoyé en prison pour six mois ferme avec mandat de dépôt.