Fièvre réactionnaire

Offensive anti-squats en Guyane

À la pointe du mouvement social du printemps 2017, le collectif des 500 Frères donne désormais dans l’expulsion « citoyenne » d’occupants illégaux.

En plein centre-ville de Cayenne, une foule éructe sa haine des squatteurs. Nous sommes le 24 septembre et l’appel lancé deux jours plus tôt par la galaxie des 500 Frères contre la délinquance1 a été entendu.

Devant le numéro 53 de la rue Madame-Payé, quelque 200 personnes sont venues déloger les occupants – essentiellement étrangers – de cette maison insalubre. Une habitante argue que le « propriétaire » des bâtiments squattés lui fait payer un loyer au noir, mais son intervention « est vite annihilée par des personnes hostiles vitupérant à son encontre »2. La police s’interpose entre la foule et le squat, où la maire de Cayenne vient négocier le départ des occupants – en l’absence de toute décision de justice. Un peu plus tard, un fourgon emmène les objets personnels des occupants...

Quelques semaines plus tôt, le squat avait déjà été attaqué par des membres des Grands Frères. Ce « saccage  », commis par des hommes « encagoulés et détenteurs d’armes blanches », selon les mots du procureur, aurait fait trois blessés, dont une femme enceinte. Une expédition effectuée vraisemblablement à la demande de riverains se plaignant d’incivilités multiples, menaces, tapage, prostitution et trafic de stupéfiants. « Arrêtez de prendre en compte la misère des squatteurs, vous rejetez la misère des riverains », dira à une autre occasion Zadkiel Saint-Orice, porte-parole des Grands Frères3.

Sur les forums des sites d’actualités guyanais, on trouve bien des internautes critiquant le coût des procédures d’expulsion pour les propriétaires désargentés. Certains n’hésitent aucunement à établir un lien entre squats, insécurité et…immigration.

« 350 squats évacués et il faut s’en satisfaire ?! »

Le 17 octobre, dans cette ambiance délétère et farouchement anti-squat, la télévision publique Guyane La Première consacre une émission spéciale à la problématique. « Le préfet a mis en place une cellule de suivi qui a permis d’évacuer en un an plus de 350 occupations illégales […], ce qui correspond à 1 200 personnes  », se défend le représentant de la préfecture. « Ça paraît, pour certains, pas assez, pas assez vite…  », fait observer la journaliste. «  J’aimerais quand même rappeler qu’un squat, c’est une occupation sans titre et sans droit, enchaîne Yvane Goua, de l’association Tròp Violans. On s’est approprié le lieu d’une personne. Donc c’est illégal et il y a un problème à régler. […] 350 squats évacués en un an et il faut s’en satisfaire ?! En 2014, il y en avait 31 000 en Guyane ! »

Il faut ici préciser qu’en Guyane, le terme « squat » renvoie à deux réalités : les occupations urbaines de bâtiments, mais surtout les nombreux bidonvilles. Ces derniers, la loi Élan4 ne les a pas oubliés : un article prévoit qu’à Mayotte comme en Guyane, le préfet pourra désormais les faire détruire sans décision de justice…

Sur le plateau de Guyane La Première, on s’en félicite. Et il faut se fader 34 minutes de surenchère avant d’entendre une voix dissonante. Celle de Marius Florella, de l’antenne guyanaise du Dal (Droit au logement) : « Je suis d’accord, on peut démolir toute la Guyane, les maisons construites sans permis. Seulement, il faut me donner une solution de relogement. L’État et les communes fuient leur responsabilité : le manque de logement. […] On ne peut pas déloger les gens puis les lâcher dans la nature. »


1 Les 500 Frères (collectif créé début 2017 après un énième assassinat, pour protester contre les violences et l’insécurité, notamment par des opérations « coup de poing » effectuées encagoulés), l’association Tròp Violans et les Grands Frères (scission des 500 Frères).

2 « Le squat de la rue Madame Payé évacué sous la pression populaire à Cayenne », Guyaweb.com, 25 septembre 2018.

3 « Rassemblement au 18 rue Barrat à la mémoire de Raymond Gaye [...] », Guyaweb.com, 29 septembre. Selon le quotidien France Guyane, Raymond Gaye a été mortellement poignardé le 26 septembre dans sa maison familiale, qu’il avait l’habitude de visiter « pour éviter qu’elle ne soit squattée ou pour faire sortir les squatteurs  ». Certains soupçonnent donc un crime commis par un occupant illégal – ce que rien ne prouve.

4 « Loi anti-pauvres – Élan : droit dans le mur », CQFD n°170, novembre 2018.

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