Dans les ronces coloniales

Menthe amère

Avec La Menthe sauvage, récit publié en 1984 et tout juste réédité par les éditions Grevis, Mohammed Kenzi raconte son destin d’Algérien fracassé par le colonialisme sauce hexagone.

« Une femme, agenouillée, hurlait de douleur devant deux énormes chiens que tenait en laisse un homme en kaki. C’était le début de cesannées de cendres où la violence aveugle se répandait comme un feu de brousse dans toute la région. »

Fin des années 1950, dans l’Ouest algérien, près de la petite cité de Maghnia. Un enfant du nom de Mohammed Kenzi, né en 1953, assiste à la généralisation des exactions d’un État colonial en roue libre. Trop jeune pour comprendre, pas pour ressentir, il est marqué à vie par cette expérience, doublée d’un exil rapide : en 1960, sept printemps au compteur, il embarque avec sa mère, ses frères et son oncle sur un bateau les menant d’Oran à Marseille. La suite ? Paris, puis un bidonville de Nanterre, où son père les a précédés. Atterrissage difficile : « Notre baraque était sordide. Vue de l’extérieur elle ressemblait à un poulailler. »

La Menthe sauvage (Grevis, 2022) est un texte dur, amer, sans goulée d’air. Écrit au scalpel, il n’a pas la douceur des écrits d’un Mehdi Charef qui, dans Rue des pâquerettes ou Vivants 1, décrit avec ses yeux d’enfant parfois attendris cette même expérience du déracinement algérien, du bidonville puis des cités de transit. Chez Kenzi, on étouffe, on se débat, on dit les rats, la boue, les engueulades familiales. Et la suite de son récit est sans appel. D’abord la violence de l’OAS et de ses ratonnades, « cette vision de l’horreur qui contaminait l’environnement ». Puis le racisme omniprésent, la terreur au quotidien, les touristes venus photographier les bidonvilles comme au zoo. Quant aux premiers jobs à l’usine, ils marquent un autre asservissement : « J’étais un déraciné et une future force de travail qui allait gonfler le personnel des sociétés industrielles du coin. »

Face à tout cela, Mohammed Kenzi rue dans les brancards. Il s’engage, salue les lueurs de l’année 1968, quand les étudiants de Nanterre cassent un mur séparant la fac du bidonville, puis celles d’engagements divers au fil des années 1970 : comité Palestine, Front de libération de la jeunesse, Mouvement des travailleurs arabes… Las, chaque fois, ça ne prend pas vraiment : beaux élans, lendemains qui déchantent. Le poison colonial serait trop profondément instillé ? C’est en tout cas ce que perçoit le compadre Victor Collet, qui signe la postface, mentionnant « ce regard glacé sur l’âpreté des violences structurelles [ayant] miné les moindres espaces, ad nauseam.  »

Des cendres, partout des cendres. Merci la France, terre d’écueil.

Émilien Bernard

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Réédités aux éditions Hors d’atteinte respectivement en 2019 et 2020.

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CQFD n°213 (octobre 2022)

Dans ce numéro, un dossier sur l’inflation : « Les poches vides & la rage au ventre ». Mais aussi un appel à soutien, l’audacieuse tentative de la Quadrature du Net qui cherche à faire interdire la vidéosurveillance partout en France, un reportage dans une bourgade portugaise en lutte pour préserver des terres collectives face à une mine de lithium, une analyse sur l’Italie postfasciste...

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