Aïe Tech #23

Mate la gueule des prophètes

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt-troisième opus consacré aux vendeurs d’apocalypse venus de la Silicon Valley et à leurs aspirations démiurgiques de mômes mal dégrossis.
Aldo Seignourel

Souviens-toi, les siècles derniers : prosternez-vous les gueux, car l’Apocalypse est proche. Voilà ce que le pouvoir royal féodal assénait aux simples mortels. Depuis le clergé divin a déménagé, direction la Silicon Valley et le soleil californien, youpi. Les oracles, eux, n’ont pas changé : bouh, c’est bientôt la fin du monde. En cause, l’intelligence artificielle qui serait sur le point d’atteindre un point de non-retour, où la machine asservirait l’homme. Or ceux-là mêmes qui crient à la catastrophe sont aux manettes, techno-prophètes d’un monde où ils donnent le ton par écrans interposés. C’est ce que nous rappelle un fort convaincant bouquin intitulé Les Prophètes de l’IA – pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse (Lux, 2024), signé Thomas Prévost. « L’industrie de la tech toute entière bascule dans un discours techno-religieux  », assène-t-il. On ne vend plus le futur mais la fin des temps. »

Rien de neuf sous le soleil de plomb ? Pas faux. « Ce n’est pas la technique qui nous asservit, mais le sacré transféré à la technique », grinçait déjà Jacques Ellul dans Les Nouveaux Possédés (1973). Ce qui est frappant, par contre, c’est la vitesse avec laquelle quelques magnats frappadingues se sont érigés en demi-dieux, dispensant d’un côté la damnation (« on va tous crever ») de l’autre la rédemption (« on va vous sauver »).

Au premier rang, bien sûr, Elon fucking Musk, devenu récemment, youpi youpi, l’homme le plus riche de l’histoire de l’humanité, avec plus de 400 milliards au portefeuille. Sa solution perso à la fin du monde, grosso modo ? Devenir un Avenger, conquérir Mars et être immortel. Un gamin, quoi. Le hic ? Il est prêt à tout pour ça, d’où l’alliance avec Trump. Sous la plume de Thibaut Prévost : il fait partie de cette caste d’« hommes enfants » qui en grandissant ont « fini par enfiler des masques de Dark Vador ». Autre exemple, Jeff Bezos, boss stéroïdé d’Amazon qui rêve de « colonies récréatives » spatiales ou s’égayeraient « mille Mozart et mille Einstein, ce qui ferait une civilisation extraordinaire. » Ravagé. Un dernier pour la route ? Peter Thiel, boss de Palantir Technologies et réac’ ultra-puissant dans ce microcosme de tarés. Selon Prévost, il lui arrive d’« expliquer à des journalistes qu’il aspire à l’immortalité des elfes de la Terre du Milieu ». Comme le dit Naomi Klein dans Le Double (Actes Sud, 2024), consacré à l’imaginaire conspirationniste : « Tout cela serait ridicule si ce n’était pas si sérieux.  » Car dans cette IApocalypse qu’ils invoquent, ne pas s’y tromper, l’arche du salut est réservée à leurs semblables, les puissants mômes alpha. Vivement qu’ils crament sur Mars.

Émilien Bernard
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Cet article a été publié dans

CQFD n°237 (janvier 2025)

Dans ce numéro, vous trouverez un dossier "Marseille : effondrements & mal-logement", une discussion avec des militants politiques chinois et taïwanais, un entretien décryptant la mécanique de la haine du fonctionnaire, des recensions, des articles formidables et... Youpi le vieux Le Pen est mort !... tout un tas de considérations passionnantes sur notre temps et les raisons de tout brûler.

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