Marseille : Une ZAD et puis s’en va
Vendredi 30 janvier, 9 h 30, arrivée sur la ZAD du parc Michel-Lévy, « la première ZAD urbaine », comme me le précise Françoise, une zadiste présente depuis le début. A 6 heures, quelques pandores et un huissier ont rendu visite aux occupants. Je fais comme la BAC et les CRS et profite de mon look presque baqueux (la quarantaine sportive) pour rentrer dans le parc Lévy. La police a pris position dans tout le parc. Des femmes crient. Ici ou là on proteste mais on est sous le choc. Les occupants sont poussés vers la sortie. On entend : « C’est une honte ! » Dans la rue où deux légions de policiers – 52 d’après la préfecture ce qui correspond presque aux 47 logements prévus – repoussent la dizaine d’occupants. Une dame d’une cinquantaine d’années s’oppose aux CRS. Dix minutes plus tard, contournant la police, cette dure-à-cuire parvient de nouveau à rentrer dans le parc. « Promoteur tricheur ! », lâche-t-elle en direction du groupe Unicil qui va gérer cet immeuble construit sur un parc public.
Un linograveur à la retraite est sur le trottoir. Georges était venu aux AG du parc : « Il faut que les gens se prennent en main. Les flics sont échaudés avec Sivens », croit-il savoir pendant que la pelleteuse se remet en route. Un autre retraité me fait part de rumeurs bien approximatives : « On dit qu’ils viennent de Vendée, vous savez le barrage. » Le spectre de Rémi Fraisse rôde encore. Un zadiste harangue du haut d’un immeuble le conducteur des travaux en train d’abattre les arbres : « Rappelle-toi de moi, on te rendra la pareille ! » Des habitants âgés racontent le quartier : « Ils avaient dit ça aussi, qu’ils laisseraient les arbres », en me montrant un immeuble qui dépasse les plus anciens. Et cette dame qui demande aux membres de l’impressionnant dispositif policier : « Vous cherchez un terroriste ? » Quand les arbres tombent, les condés, eux, se multiplient.
« J’ai pris les pinces coupantes et on est rentrés », me racontait, le dimanche précédent, Michel Vingt-trois, un militant à casquette. L’occupation du parc Michel-Lévy a commencé le jeudi 24 janvier 2014. Depuis, une nouvelle ZAD était née à Marseille dans le 6e arrondissement, rue Pierre-Laurent. Une pelleteuse était ornée d’un « Stop déforestation » comme en Amazonie. Derrière elle, des arbres immenses abattus et des branches. Depuis l’espace aménagé pour un brasero, la vue sur Notre-Dame-de-la-Garde est merveilleuse tandis que sur le côté un gigantesque immeuble s’est déjà imposé.
De bon matin, je croise Keny Arkana sur son scooter. De retour du Chiapas, elle est passée en coup de vent apporter des râteaux. Ils étaient une trentaine, dès 6 h, à venir au cas où une expulsion aurait eu lieu. Ce lundi, ils sont encore quelques-uns à avoir dormi sous des tentes. Il y a un autre Michel, membre de Greenpeace, qui a dormi sur une plateforme en haut d’un arbre. Avec le vent il a eu du mérite. Et de la chance.
Depuis deux bonnes années un projet d’immeuble avec parking avait été approuvé par la mairie en lieu et place d’un tout petit jardin avec jeux d’enfants. Un collectif nommé « Sauvons le parc Michel-Lévy » avait été créé mais sans grand résultat. Le 23 janvier, une équipe de bûcherons escaladeurs a commencé à abattre les 18 platanes centenaires du parc. « Le jeudi on s’est retrouvés et spontanément on a occupé », me raconte une habitante – je la retrouverai en pleurs et incapable de parler le vendredi. « Enfant, je venais au parc, et mes propres enfants y ont appris le vélo et à marcher. C’est un lieu essentiel pour nous. » La question récurrente chez les riverains mobilisés est celle de la démocratie locale. Comment se fait-il que le Comité d’intérêt de quartier (CIQ) ait pu donner son aval à cette destruction ? La réponse fuse à propos de la présidente du CIQ : « Mme Vedel organise des réunions où elle indique l’heure mais pas le lieu. » A travers cette question, c’est toute la représentation verrouillée du pouvoir à Marseille qui est de nouveau en jeu. « Gaudin, il n’a pas d’enfants, alors les parcs, il s’en cague… » Une jeune habitante est venue à l’assemblée générale pour affirmer le besoin d’espace public : « On a besoin de lieux communs que se réapproprient les gens. » Tandis qu’une autre pointe les impasses de la politique municipale toute entière orientée vers les investisseurs privés et l’attractivité touristique à court terme : « Il n’y a déjà plus de places dans les écoles du quartier, alors où les nouveaux habitants de cet immeuble vont mettre leurs enfants ? »
Le dimanche, je trouve Étienne qui inspecte la tente de Michel l’Indien : « Tu vois là c’est le sac de couchage ; là le réchaud, et la lampe frontale. » Étienne bosse à la Sodexho et va faire sa nuit d’occupation avant d’aller travailler à 7 h. « Je suis végétalien et j’habite le quartier », me dit-il de bute en blanc. Lui et sa famille étaient aussi des usagers du parc.
Deux passantes, la cinquantaine, un yorkshire au bras, pénètrent dans le désastre des travaux. « C’est courageux qu’il y aient des gens comme vous », adressent-elles à ceux qui se nomment tous Michel afin de fatiguer les journalistes. Depuis le « Nous sommes tous Marcos » et la naissance du prénom collectif « Camille » à Notre-Dame-des-Landes et des « Rémi » dans le Tarn, les prénoms symboliques et indifférenciés empêchent toute vedettisation. Elles ouvrent au collectif. Ici, en tout cas, on n’est pas des Jean-Claude. La dame avec son bonnet noir et son chien est remerciée à son tour. Elle explique : « C’est la mentalité des bourges, de détruire des parcs ! J’ai habité rue de Pologne, ça a été pareil ! » Elle évoque la destruction par grignotage du quartier du Rouet, une autre rouerie de Jean-Claude Gaudin dont CQFD s’était fait l’écho.
Michel Vingt-trois n’est pas sans arrière-pensée : « S’il y a des boules, on fera une buvette ! Et du vin chaud. » Car la température aurait pu refroidir les ardeurs, mais non, on s’y presse sur cette ZAD, cette oasis en plein cœur de Marseille. Une conscience s’était éveillée. Michel l’Indien était allé au Testet le jour ou l’on a tué Rémi Fraisse. Il prend les choses avec précaution, comme les zapatistes, à pas lents, mais sûrs. Lors de l’AG tout le monde prend la parole simplement pour proposer quelque chose. Arrive l’élu écologiste du secteur qui remercie tout le monde et détonne. Par son discours décalé. Tel un tribun syndicaliste, il semble perdu devant des micros imaginaires. N’est pas Michel qui veut. Lui est Hervé Menchon et entend bien le rester.
Le cimetière des animaux.
Une zadiste qui a occupé dès la première nuit raconte : « J’emmenais mes enfants ici. Tu sais qu’à chaque pied d’arbre il y a des cadavres de chat, de lapin, de hamster… Une fois, en enterrant mon lapin, j’ai découvert un autre cadavre. » Dans cette poche, à l’angle de deux rues, il y avait toute l’âme du quartier et ses chers disparus.
Un jeune étudiant en philosophie a répondu présent. Il a dormi cette nuit sur le terrain. Il lui manquait une couette. Il s’appelle Michel aussi évidemment. Michel Lejeune : « C’est pour mettre en pratique la démocratie. Je me réjouis de voir ce genre d’initiative. » Adepte de la révolution permanente, Michel a participé aux Indignés, le campement permanent. « Rien qu’un jardin partagé, c’est une forme de résistance. » Les rencontres sont primordiales, même si ça peut être lourd. « On a causé avec un SDF jusqu’à deux heures du matin. J’ai ramené une femme chez elle. Tu écoutes les gens. C’est pas évident, mais ici je suis en état de détachement. » Michel Lejeune participait aux manifs auparavant mais ne croit plus guère à cette forme de protestation : manifs ou grèves. « Là, il y a tout à faire », remarque-t-il devant ce champ de ruines.
Depuis une semaine, un bâtiment a été nettoyé et le terrain est agréable à explorer. Des balançoires en pneumatiques ont permis aux enfants de jouer mercredi, tandis que des tipis tiennent malgré le vent. Les grands platanes ne se relèveront pas malgré les dessins des enfants. Les cinq qui avaient survécu grâce à la ZAD ont été abattus à 12 h, le 30 janvier. La veille, une chorale de chants révolutionnaires a poussé quelques chansons. Elle ne savait pas que c’était un adieu. Dans le noir, un cercle s’écoute. C’est l’assemblée générale qui se demande comment résister aux assauts des forces de l’ordre.
Au café du platane, alors qu’un peu plus bas le carnage s’achève, une ex-salariée d’Unicil – qui fait dans le logement social – crache son venin sur son employeur : « Ils pratiquent des loyers exorbitants. Jamais ce ne sera du social, cet immeuble. » Faut dire que le blaze du patron d’Unicil, c’est Podevin ! Comme une ruse du destin…
Christophe « Michel » Goby
Cet article a été publié dans
CQFD n°129 (février 2015)
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Paru dans CQFD n°129 (février 2015)
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Illustré par Yoan-Loïc Faure
Mis en ligne le 18.03.2015
Dans CQFD n°129 (février 2015)
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