La mission m’a été confiée de dégommer la pub sur Internet. Bien… Mais comment dénoncer la pub sans enfoncer des portes ouvertes ? Je doute que CQFD compte beaucoup d’adorateurs de Séguéla dans son lectorat !
L’idée a surgi en mars dernier [1] quand les copains du présent journal, insouciants surfeurs des Internets à la recherche d’information ou de sujets de moquerie chez la concurrence (entendez d’autres sites de presse) se sont retrouvés nez à nez avec divers messages plus ou moins agressifs leur refusant l’accès à l’information sauf à désactiver leur « bloqueur de publicité ». Alors... pour les caves de l’ère du Geek, un bloqueur de pub ou Adblock, c’est un petit logiciel qu’on télécharge le plus souvent gratuitement, qui vient s’ajouter à ton navigateur web et qui, comme son nom l’indique bien, bloque l’affichage des publicités sur la plupart des sites Internet. T’installes en deux clics et puis t’oublies jusqu’à l’existence des pubs ! À se demander pourquoi tout le monde n’en utilise pas encore… Bref. Ce qui les a titillé, les collègues, c’est de voir ces avertissements-menaces arriver simultanément sur la quasi-totalité des grands sites de presse français, Le Figaro, l’Express, Le Monde, L’Équipe... Une réponse coordonnée ! Un tir de barrage groupé ! L’empire Lagardère (et consort) contre-attaque ! Faudrait-il désormais accepter la pollution publicitaire [2] sur le net ou renoncer à consulter gratuitement les médias mainstream ? Cette fois-là, ça n’a pas duré plus d’une semaine. Présentée comme une action de « sensibilisation », l’opération n’était peut-être qu’un coup d’essai ?
À l’origine de cette stratégie-choc, le Geste, un groupement d’éditeurs de contenus et services en ligne. L’enjeu présenté ? Rien moins que la préservation de la liberté de la presse ! « Sans publicité, qui finance notre équipe, mais aussi le développement du site, L’Express ne peut pas vivre », pérore le magazine. Encore un peu et la pub serait le nec plus ultra du fameux « esprit Charlie ». Car si la pub emmerde, elle permettrait à bon nombre de sites de proposer un accès gratuit à leur contenu ! Enfin, gratuit… Au prix de l’indépendance des médias (critiquer la bagnole entre deux pubs pour des bagnoles ? Allons, mon brave !), de la disponibilité d’esprit du lecteur (la bannière pub qui surgit, vrombit, clignote, ça aide pas la concentration), de la vie privée (chaque clic est enregistré, disséqué, analysé), du renforcement de représentations mentales stéréotypées (de genre, de race, de culture), j’en oublie certainement, mais passez quand même à la caisse.
Sur Internet aussi, il faudrait donc qu’on choisisse : payer ou accepter la pub. Ce choix apparaît manifestement issu de médias traditionnels qui veulent adapter un dispositif technique et ses pratiques à leur modèle économique. Or Internet ne s’est pas construit sur ces modèles-là. Si l’on cherche du côté des créateurs ayant débuté sur le web, on tombe assez vite sur une piste intéressante et pourtant pas vraiment neuve : l’économie du don et/ou du prix libre. Je pense ici à des vidéastes, des écrivains, des musiciens et même des journalistes... qui parviennent à faire vivre et parfois à vivre de leurs activités sur le Net grâce à leur public et ses dons. On y trouve du bon, du moins bon et même de l’excellent.
Et chez les arriérés du Net de CQFD, me direz-vous ? Leur site sans pub est à prix libre, on peut leur faire un don via PayPal, et ça leur rapporte bon an mal an quelques dizaines euros. Peanuts. Mais leur liberté, elle, n’a pas de prix. ;-)