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Bouquin

Lettres à un jeune pingouin


paru dans CQFD n°150 (janvier 2017), rubrique , par Charlotte Dugrand
mis en ligne le 28/11/2019 - commentaires

Écrire à une espèce disparue pour lui raconter ce que le monde est devenu… Ce qu’elle a raté en somme, ou ce à quoi elle a échappé. C’est la tâche à laquelle s’est attelé Jean-Luc Porquet, en s’adressant au dernier grand pingouin, mort en 1844 à Eldey, en Islande.

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La missive commence d’abord par des excuses, mais l’auteur note que d’ordinaire « on se repent devant les descendants de ceux que l’on a colonisés, torturés, massacrés ». Or, Grand Pingouin « n’a pas de descendants ». Grand Pingouin a littéralement disparu de la surface de la Terre. Il ne reste que quelques spécimens naturalisés dans le monde, dont un au Museum d’histoire naturelle de Nantes. L’oiseau vivait tranquillement dans l’hémisphère Nord jusqu’à ce que les hommes y débarquent et massacrent tout ce qui bouge.

À travers l’histoire de Grand Pingouin, Jean-Luc Porquet retrace la sauvagerie des grandes conquêtes et fait un tour d’horizon des différentes extinctions de masse. Car il s’agit là d’une véritable hécatombe : « 484 espèces de vertébrés […] ont été rayées de la carte depuis le xviie siècle […] Depuis 1970, la moitié des populations d’animaux marins a disparu. » On croise au fil des lignes des noms de bestioles plus étranges et inconnus les uns que les autres : la thylacine, le marsupial carnivore, la marouette de Laysan, la nette à cou rose, l’onychogale bridé, etc. Inconnus, et que nous ne connaîtrons jamais.

La catastrophe étant mondiale, ce livre nous fait voyager, on traverse les continents, du nord au sud, sur les pas de Jacques Cartier, avec les peuples amérindiens, puis retour à Paris en 1844 où Jules Vallès n’a que 12 ans et Baudelaire 23. Cette fameuse année où Grand Pingouin s’éteint quand Marx écrit ses Manuscrits de 1844… On croise aussi de grandes plumes (littéraires !) : Camus, Miller, Orwell, Twain, K. Dick… C’est en cela que le livre est réussi : il part d’un fait et déroule une histoire à tiroirs qui nous entraîne de l’ère de Bonaparte à celle de Greenpeace et de Paul Watson, dans les airs et au fond des mers, du papillon à la baleine, de l’Islande au Yucatan.

Plus qu’à une lettre, c’est bien à un véritable réquisitoire contre l’insatiabilité de l’homme envers la nature et tout ce qui l’entoure que nous convie Jean-Luc Porquet. Et avec talent. Car à travers toutes les époques, c’est bien le même cynisme qui est à l’oeuvre, la même logique coloniale et guerrière. « Il s’agit là d’une loi inflexible : les colons arrivent, les espèces s’éteignent, à commencer par celles qui s’étaient crues à l’abri. » Et plus encore qu’à un réquisitoire, c’est à une réflexion philosophique et politique que nous avons à faire. Jusqu’où iront les hommes dans leur logique productiviste ? Estil encore temps d’en prendre conscience ou est-ce déjà trop tard ? Quelle est la place de l’homme sur une planète exsangue ? Et quelle est notre responsabilité dans ce carnage ?

L’auteur, hanté par ces questions, réussit à hanter le lecteur. À travers ce livre ovni, tour à tour récit historique, essai sur la biodiversité, réflexion sur la barbarie, roman de voyage et lettre à un grand pingouin, il nous interpelle, et c’est tout ce que l’on demande à un bon livre : nous amener à nous questionner.

[/Charlotte Dugrand/]


Jean-Luc Porquet, Lettre au dernier grand pingouin, Verticales, septembre 2016.



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Par Charlotte Dugrand


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