Les hommes souffrent. Et il n’y a pas qu’Éric Zemmour pour le dire. Alors comme Mademoiselle n’est pas méchante, chaque fois qu’un homme lui dit qu’elle exagère, qu’il n’est pas un dominant, lui, qu’il souffre, elle écoute toujours son témoignage poignant. Il faut alors ménager sa susceptibilité, avouer que « c’est plus compliqué », qu’il y a des femmes méchantes, vénales, manipulatrices, des femmes atroces dont la seule existence suffit à rendre tout propos féministe moins légitime. Il faut opiner, acquiescer, ne pas froisser celui qui fait le ménage chez lui, applaudir celui qui donne des bains à bébé, se pâmer devant sa science de la purée de carottes, bref, cajoler, calmer ce gros chagrin, et l’écouter parler de cette domination dont il n’est pas responsable… jusqu’à ce que le bruit de ses paroles d’homme-bien recouvre celles des dominées qu’il aime, dans le fond. Mais dans le fond, et sans le son. Mais dire cela, c’est déjà recommencer à exagérer. C’est recommencer à parler de petites choses ridicules, d’une petite voix qui insupporte. Alors le grand bonhomme cesse de pleurer à chaudes larmes, et s’indigne : « C’est n’importe quoi ! C’est exagéré ! Ce n’est pas la réalité ! » Ah, mais ne croyez pas qu’il soit simple d’exagérer : c’est un vrai boulot d’avoir l’outrecuidance de ne pas dire la même réalité. Car lorsque celle-ci n’est pas évacuée de prime abord – « Cela n’existe pas » ou « Cela n’est pas de mon fait » –, elle est souvent retournée contre les femmes (« Elles doivent bien y trouver un avantage »), ou sert de faire-valoir à une atroce douleur : « Je souffre d’être dominant ». Contre cette auto-flagellation bruyante, qui ne permet finalement que de parler d’un gros nombril poilu, Mademoiselle propose l’ouvrage de Léo Thiers-Vidal [1]. L’auteur pose deux questions fondamentales : « 1) Les hommes sont-ils conscients de dominer, d’être dans une position dominante ? 2) Dominent-ils les femmes de façon consciente ? » On voit alors émerger des hommes ayant à la fois une connaissance des privilèges qu’ils ont en tant qu’hommes, mais qui témoignent également d’une difficulté, ou d’un refus, de dire leur propre contribution à ce système oppressif. Quoi qu’il en soit, ils reconnaissent au moins avoir cette chance : celle de ne pas être des femmes. Ce serait là une bien pire souffrance.