Les Wobblies tirés de l’oubli

Il était une fois dans l’Ouest des mineurs et des bûcherons qui trimaient comme des chiens pour engraisser des chacals à chapeaux hauts-de-forme. À l’orée du XXe siècle, dans les mines de l’Idaho et les forêts de l’Oregon, ils se firent rebelles et créèrent avec d’autres frères humains un syndicat radical, les Industrial Workers of the World (IWW) dont l’histoire fut aussi mouvementée que son souvenir est occulté.

Pour contribuer à combler cette lacune, un livre1 paru chez L’Insomniaque revient sur la saga des Wobblies – ainsi qu’on nommait ces prolos ricains de toutes origines – qui joignirent leurs forces pour tenter le hold-up du siècle : le sabotage du capitalisme industriel américain dès son émergence, l’abolition de l’esclavage salarié dans le pays même où il était destiné à proclamer urbi et orbi son immanence.

Entre autres faits d’armes, ils se firent d’abord connaître par une virulente campagne pour la liberté de parole au Far-West qui se solda par de nombreuses morts violentes. Puis ils fomentèrent de nombreuses grèves, endeuillées elles aussi par une répression féroce des milices patronales alliées aux forces de police, et organisèrent les journaliers de l’agriculture extensive en Californie et dans le Middle-West.

À l’entrée en guerre des USA en 1917, le patronat américain sut convaincre le gouvernement fédéral d’en finir avec les Wobblies. Une vague de répression se déclencha contre eux dans tout le pays et des milliers de militants furent emprisonnés pour « trahison » et « sabotage de l’économie en temps de guerre ». Les IWW ne s’en relevèrent pas, même si ce syndicat existe encore de nos jours à l’état groupusculaire.

Nés en opposition au syndicat confédéral corporatiste, raciste et chauvin AFL, les Wobblies recrutaient parmi les travailleurs peu qualifiés de toutes races et de tous sexes : la main-d’œuvre féminine du textile, les mineurs et journaliers, les immigrés fraîchement débarqués et parlant à peine l’anglais… Et surtout les saisonniers qui sillonnaient le continent en resquillant dans des trains de marchandise : les vagabonds du rail ou hobos. Se reconnaissant dans les principes des IWW, ces derniers, plus miséreux mais plus libres que les ouvriers des bagnes industriels de l’Est du pays, ont créé leur propre poétique, dont les figures de proue se nomment Joe Hill – qui fut piégé par les flics et condamné à mort dans l’Utah – ou Harry McClintock, autre aventurier troubadour.

Les Wobblies, nomades ou sédentaires, pratiquèrent toutes sortes de méthodes de lutte dites d’action directe – grève sur le tas, grève sauvage, piquets de grève armés, sabotage, campagnes de solidarité nationales – qui furent reprises lors des nombreuses grèves dures des années de la Grande Dépression. Ils sont à l’origine d’un état d’esprit indocile, toujours présent dans une fraction du prolétariat américain et dans une partie de la jeunesse, comme en atteste le récent mouvement de contestation Occupy Wall Street : un mélange d’aspiration à l’égalité et le souci constant de la solidarité, conjugué à une forte méfiance à l’égard de tous les appareils politiques.

Leur mode de vie très libre, leur esprit critique, leurs tendances joyeusement subversives sont à la source des mouvements de libération de la vie quotidienne qui ont fleuri dans les années 1960 et laissé leur marque sur le fonctionnement même de la société marchande.

De cette histoire, on peut retenir qu’il ne faut pas désespérer des pauvres d’Amérique, trop souvent dépeints en résignés ataviques. Et l’on se prend à rêver que la rage revienne aux chiens de tout collier et qu’ils dévorent à beaux crocs les chacals à mufles dorés.


1 Joyce Kornbluh, Wobblies et Hobos, L’insomniaque éditeur, 256 pages, 25 euros. Le livre est enrichi de documents (chansons, poèmes, récits…), de 130 illustrations (photos, dessins de presse) et d’un CD qui contient des blues inédits écrits et chantés par des hobos noirs passés depuis à la postérité ainsi que de nouvelles versions, jouées par Gommard, groupe de blues-rock montreuillois.

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