Confinement champêtre

Le privilège du fusil, la plage interdite et les décisions de Paris

Pendant le deuxième confinement, seuls les chasseurs ont profité de l’« approche différenciée » promise par le Premier ministre Jean Castex. Les autres n’avaient qu’à bien se tenir, obligés de rester à la maison ou d’aller docilement travailler... Échos des Pyrénées, récoltés en novembre 2020.
Gwen Tomahawk

Derrière les alpages et le sous-bois gelé, le soleil se devine, prêt à réapparaître. En temps normal, le bruit lancinant des premiers véhicules se rendant dans le Val d’Aran remonte déjà de la vallée de Saint-Béat, dans les Pyrénées centrales. Mais depuis la fermeture de l’accès à l’Espagne, le 27 octobre, puis les mesures de restrictions du « deuxième confinement », la montagne baigne dans un silence inédit. Une trêve pour la faune sauvage ? Pas vraiment… Soudain, de manière totalement improbable, un Porsche Cayenne gravit bruyamment la piste caillouteuse qui mène au col d’Artigascou, à 1 348 mètres d’altitude. Après s’être garés, trois chasseurs à l’équipement clinquant s’accoutrent, avant de se poster fusil à la main pour une battue au gros gibier. Débarquant de Toulouse, à plus deux d’heures de route d’ici, ces aventuriers en grosse cylindrée ont payé d’onéreux droits de chasse pour pouvoir traquer sur les sommets...1

Sans consensus ni débat parlementaire, la chasse a été autorisée pour tirer le sanglier, le cerf, le chevreuil... Une dérogation, concédée dès le 31 octobre par le ministère de la Transition écologique, puis déclinée dans chaque département par des arrêtés préfectoraux, selon le fameux impératif de « régulation du grand gibier ». Dans les faits, Willy Schraen, l’influent patron de la Fédération nationale des chasseurs, a beaucoup pesé. Pour la Macronie, il s’agit notamment de renverser la tendance avant le scrutin de 2022 : à l’exception de quelques zones spécifiques du Sud-Ouest comme l’Aude et la Gironde, les chasseurs s’étaient mobilisés en nombre en 2017 en faveur de Marine Le Pen, dès le premier tour, avec plus 30 % de bulletins pour la candidate frontiste.

Du point de vue sanitaire, ce privilège du fusil ne tient pas la route : pas besoin d’une longue enquête pour constater que, réunis allègrement dans leurs fameuses « maisons de chasseurs », à mesure que se déverse le pastis dans les verres, tous se débarrassent des masques et oublient vite les gestes barrières. Mais aucun n’aura à craindre les « enquêtes » des chaînes d’informations en continu, pourtant si zélées lorsqu’il s’agit de dénoncer les jeunes et leurs fêtes clandestines. De leur côté, les pravdas locales comme la Dépêche du Midi, loin de dénoncer cette injustice évidente, ressassent le débat éculé du « pour ou contre la chasse afin de réguler la prolifération des sangliers ? »

Le retour de l’absurde

On pourrait s’en réjouir : la pression des contrôles policiers a été plus faible pour ce deuxième confinement dans les campagnes et les zones de montagne. Cette fois-ci du côté des Pyrénées, pas d’hélicoptère dans le petit bourg d’Izaut-de-l’Hôtel (Haute-Garonne)2, ni de déploiement des troupes dans les forêts pour débusquer les déconfinés récalcitrants. Il faut dire que « c’est plus compliqué de contrôler systématiquement quand beaucoup de personnes sont autorisées à aller travailler chaque jour », comme le remarque un gendarme.

Le retour des attestations de déplacement n’est cependant pas allé sans arbitraire policier. Parmi les malheureux qui ont encore essuyé une amende de 135 €, il y a Pierre, qui eut le tort de ne pas acheter son pain dans la boulangerie industrielle la plus proche de son domicile. Il a été verbalisé à moto dans le village voisin, 5 kilomètres plus loin. Ironie du sort : ce matin-là, Pierre avait croisé une bonne dizaine de pick-up de chasseurs, facilement reconnaissables aux chiens bruyamment encagés à l’arrière des véhicules.

Dès son arrivée à Matignon, en juillet, Jean Castex avait promis une « approche différenciée » et affirmait vouloir donner davantage de « libertés aux territoires ». Des déclarations qui ont pris des allures de farces quand le gouvernement, après avoir imposé un couvre-feu localisé, a décidé de reconfiner l’ensemble de l’Hexagone. De facto, des activités n’ayant pourtant aucun impact sur la propagation du virus se sont retrouvées prohibées : sortir écouter le brame du cerf, observer les étoiles, dormir en forêt, aller aux champignons, faire du cyclisme ou de la randonnée... L’esprit de la loi – contenir les contaminations – n’a encore une fois quasiment rien à voir avec son application concrète. Et, bien que les polémiques et la controverse aient vivement secoué le corps médical ces derniers mois, les épidémiologistes et les réanimateurs s’accordent tous au moins sur un point : l’activité physique est clairement un des moyens de lutte contre l’obésité et le diabète, qui sont des facteurs de comorbidité reconnus du Covid-19. « En quoi sortir seul pose un problème sanitaire ? J’ai toujours fait du vélo et là, je déprime complètement », se demande ainsi Louis, un retraité de Luchon.

Autre phénomène récurrent dans la région, le sentiment amer que la politique sanitaire est dictée par Paris, selon des logiques et des contraintes urbaines, sans jamais prendre en compte les réalités locales : la faible densité de population, la taille très réduite des commerces « non essentiels » ou ces arrangements indispensables entre voisins pour les courses, utiliser un véhicule, faire garder les enfants... « Quand j’ai un chantier dans un massif un peu loin, j’ai l’habitude de dormir chez un pote ou un parent. Là qu’est-ce que je marque sur mon autorisation de déplacement ? s’indigne Julien, la quarantaine, bûcheron dans le Comminges. Je ne sais pas ce qui me rend le plus amer. Ces mesures absurdes ou le fait qu’on les suive sans broncher ? »

Le masque dès 6 ans

Depuis la rentrée du 2 novembre, le masque est devenu obligatoire pour les enfants dès l’école primaire, soit à partir de 6 ans environ. Dans certaines vallées pyrénéennes, alors que l’on souffre déjà d’une difficulté d’accès au soin et plus globalement de la rareté des services publics, cette mesure a été perçue comme une nouvelle injonction indigne. En effet, beaucoup d’écoles ne comptent qu’une classe unique : une quinzaine d’élèves mélangés de la maternelle au CE1. Ainsi, dans une même salle de classe, une partie seulement des enfants est contrainte de porter le masque. Conscientes du ridicule et de l’inefficacité au regard de l’enjeu sanitaire, certaines communes rurales, dans le Lot et la Haute-Garonne notamment, ont pris des arrêtés contre le port du masque pour les enfants dans leurs écoles. Hélas, de manière prévisible, le rectorat s’est empressé de menacer les irresponsables enseignants qui n’auraient pas respecté ses consignes.

D’autres mesures, imposées sur la côte atlantique, ont achevé de prouver l’imposture de Jean Castex et la toute-puissance de l’État : depuis le 30 octobre, toute activité nautique est interdite à moins de 300 mètres de la plage. Sur la côte basque, l’ensemble des maires a alors demandé la possibilité pour les habitants de surfer ou de se baigner, ce que le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé d’emblée. « On est dans un système tellement centralisé que le maire d’une ville ne peut même plus avoir la liberté d’ouvrir ses plages », dénonce à Biarritz le docteur Guillaume Barucq. Comme lui, afin de contourner le confinement et les interdictions de se baigner, certains médecins du Pays basque se sont risqués à prescrire des activités nautiques, arguant de leurs bienfaits pour la santé. La police a alors renforcé les contrôles. Surfeur quinquagénaire à Bayonne, Iban ne décolère pas : « Nous avons subi un flot de touristes record tout l’été. Maintenant que les vacances sont terminées, qu’il n’y a plus personne et sachant que les risques de contamination au coronavirus sont quasi nuls, les activités nautiques sont interdites. C’est tout simplement révoltant. »

Derrière la vague du Covid, l’épidémie ne cesse de mettre au jour une dangereuse lame de fond : la dérive autoritaire, bureaucratique et centralisatrice de la Macronie.

Jean-Sébastien Mora

1 Non loin de là, du côté du col du Piéjau, un fier Marseillais et son équipe ont dépensé 10 000 € pour avoir le droit de chasser et d’occuper une cabane pendant un mois.

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