Cinéma choc

Le Black Block, star de la Mostra de Venise

Passant de l’ombre des cachots aux projecteurs de l’un des festivals de cinéma les plus en vues de la planète, revoilà le Black Block ! La Mostra a déroulé le tapis rouge à ce documentaire, au grand dam de la bleusaille transalpine, copieusement huée…
par LL de Mars

Sur une table luxueusement dressée dans un stand de la soixante-huitième édition de la Mostra de Venise, un carton précise le nom des invités : « Riservato : Black Block ». Au milieu des clapotis de la lagune vénitienne, une telle annonce préfigurerait-elle la déferlante intempestive d’une horde de capuches noires ?

Flash-back : le 21 juillet 2001, à Gênes, au lendemain de l’assassinat de Carlo Giuliani, les forces de police envahissent l’école Diaz où dorment plusieurs centaines de protestataires venus manifester contre le G8. Pleuvent alors coups de matraque, de poing, de pied ou portés avec des objets trouvés sur place. Du sang gicle sur les murs. Quand ils ne sont pas traînés dans les escaliers, les occupants sont suspendus aux portemanteaux scolaires et bastonnés jusqu’à perdre connaissance. Une habitante du quartier rapportera qu’au matin, lorsqu’elle a visité les couloirs de cette école, des dents jonchaient le sol1

Pendant plus de dix ans, Carlo Bachschmidt a accumulé vidéos et photos à destination des avocats qui défendent les personnes arrêtées et blessées lors de cette nuit de juillet 2001. En 2009, la société de production Fandango, celle-là même qui a produit le film Gomorra inspiré du livre de Roberto Saviano, cherche des documents dans le but de réaliser un film de fiction sur « le massacre de la Diaz ». Elle s’adresse à Bachschmidt, lui-même en pleine recherche de financement pour réaliser un documentaire sur les victimes de cette barbarie policière. Finalement, c’est ce film que Domenico Procacci, directeur de Fandango, montre au patron de la Mostra. Et voilà comment Black Block se retrouve en compétition !

Derrière la table riservata, Lena et Mina, toutes deux arrêtées et blessées à la Diaz, s’amusent : « Il y a dix ans, on nous traitait comme des membres de l’organisation criminelle Black Block, on était soumis au régime antiterroriste et enfermés dans la prison de haute sécurité de Voghera. Et nous voici, aujourd’hui, sur le tapis rouge. Ironique, non ? » Le réalisateur, Carlo Bachschmidt, explique : « Pendant dix ans, ce terme “Black Block” a été associé à la violence de manifestants. C’est ainsi que la plupart des Italiens se souviennent du G8 de 2001. Je l’ai appelé ainsi par provocation. Je voulais raconter une autre violence, beaucoup plus grave : non pas celle contre les choses, mais celle contre les personnes. » Mina précise : « Quand on a décidé de porter plainte contre les plus hautes autorités de la police italienne, on savait que nous faisions ce que beaucoup des gens qui ont subi la violence à Gênes n’ont pas pu faire. Nous avons vite compris que notre décision nous jetait sur la scène publique : il fallait faire le spectacle, faire face aux journalistes, documentaristes de télé, écrivains, dietrologues2, toutes ces personnes armées de bons sentiments qui s’émouvaient de nous, “pauvres victimes”. Avec ce film, nous continuions à profiter de cette plate-forme pour attaquer les forces de l’ordre. » Elle poursuit : « À l’occasion de la présentation de ce documentaire, nous sommes tout d’un coup devenus sympathiques : les mêmes medias qui nous attaquaient il y a dix ans, parlent aujourd’hui avec compassion de ceux qui se sont fait massacrer à la Diaz. » Consensus compassionnel ? Le syndicat policier Coordinamento per l’indipendenza sindacale delle forze di polizia affirme dans un communiqué : « Nous serons à Venise, non pas pour chercher l’affrontement physique, mais […] afin que ceux qui n’ont pas peur de la vérité entendent notre version. » S’agirait-il pour eux d’apporter publiquement des éclaircissements sur le fait que les responsables du massacre de la Diaz ont tous été promus, à l’instar de Giovanni di Gennaro, chef de la police à l’époque, condamné pour faux témoignage sur cette affaire et aujourd’hui chef de l’antiterrorisme italien ? Ce n’est sûrement pas ce qu’auront confié les flics à Niels, un des protagonistes du documentaire, en le retenant pendant un quart d’heure sous prétexte d’un contrôle d’identité, et retardant de fait le début de la projection.

Dans la salle, nombreux sont les spectateurs qui ne cachent pas leur émotion face aux propos intimes des témoins décrivant les « hordes de flics qui ressemblaient à des sangliers » et des « flaques de sang qui se répandaient sur le sol ». Ils parlent aussi de leurs blessures et des séquelles psychologiques et physiques laissées par cette sauvagerie policière. La salle applaudit debout « pendant sept minutes », rapporte Mina. Et, adressée à la police, une clameur emplit la salle : « Vergogna ! Vergogna3  ! » « On dit que l’histoire se répète toujours deux fois, continue, amusée, la jeune femme, une fois en tragédie et l’autre fois en… spectacle. » Parmi tous les comptes à régler dans cette Italie berlusconienne, l’infamie policière et étatique qui s’est manifestée à Gênes en 2001 gardera une bonne place dans les mémoires4.


1 Voir CQFD n°48.

2 De « dietro », derrière. Synonyme de complotistes.

3 « Honte ! Honte ! »

4 Black Block a été récompensé par une mention spéciale de la Mostra. Il va être diffusé en DVD.

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Paru dans CQFD n°93 (octobre 2011)
Par Giulia Luciani
Illustré par L.L. de Mars

Mis en ligne le 01.12.2011