Mourir longtemps

Lalouel, pour rappel

Sauf quelques cavales et une brève libération conditionnelle il y a dix ans, Philippe Lalouel est détenu sans interruption depuis les années 1980. Séropositif, il se bat pour ne pas mourir en prison. Un documentaire, Faites sortir l’accusé, revient sur son histoire.
D.R.

Dans une autre vie, un autre siècle, Philippe a été voleur de voiture, puis braqueur. Sans jamais user de violence. Aujourd’hui, après plus de trente ans derrière les barreaux, il est surtout un prisonnier longue peine. Un de ceux qui expérimentent dans leur chair une hypocrite abolition de la peine de mort commuée en « peines jusqu’à la mort ».

Le film Faites sortir l’accusé démarre par un coup de gueule de Laurent Jacqua, son ancien compagnon de geôle. Nous sommes en 2012, à la sortie de la cour d’assises de Toulouse. Juste avant, le procureur a regardé les jurés dans les yeux : « Je vous demande de prononcer une peine d’élimination sociale. » Le jury obtempère : vingt ans de mieux pour Lalouel le récidiviste. En ignorant l’évidence : au milieu des années 1990, quand il s’évade avec Laurent Jacqua, Philippe Lalouel se sait déjà condamné à mort. Blessé par balle lors de sa première arrestation, en 1986, il a été transfusé avec du sang contaminé. À l’époque, cela laisse peu de sursis. Séropositifs, Jacqua et lui se font la belle parce qu’il vaut mieux mourir dehors. En cavale, ils braquent pour survivre et rêvent de s’enfuir à l’étranger. Mais, selon Corinne Lakhdari, d’Act Up Sud-Ouest, les juges rechignent à voir cette réalité-là, car ce serait reconnaître la responsabilité de l’État dans l’affaire du sang contaminé. Même si Lalouel n’aime pas ce mot, « il est une victime », a déclaré Corinne devant la cour. En vain.

En 2014, lors du jugement en appel, à Montauban, ses soutiens distribuent dans les rues le journal de bord que Philippe a tenu quelques années plus tôt, pendant sa courte liberté conditionnelle dans un bourg de Haute-Garonne. « J’ai mal d’être libre », écrit-il alors, au tout début des années 2010. Isolement, patron mauvais payeur, pas de réel suivi pour une réinsertion hypothétique. « J’ai prévenu l’assistante sociale, je vais péter les plombs. » Philippe braque une Poste et replonge. « Ils fabriquent des situations où les gens n’ont plus rien à perdre. C’est eux les assassins  ! »

Avant sa libération conditionnelle, évasions et récidives avaient déjà valu à Philippe onze années en quartier d’isolement. Delphine Boesel, son avocate, présidente de l’Observatoire international des prisons, parle d’une « machine à broyer » et de l’instrumentalisation du jury, qui statue sur le sort d’un homme au nom du peuple français. En appel, on lui « donne » dix-sept ans au lieu de vingt… Monique Erbé, son amoureuse, rencontrée pendant cette brève période hors les murs : « Je suis écœurée. Philippe n’a jamais blessé personne. Je suis là pour le faire exister dehors, jusqu’au bout. »

Lalouel n’aime pas écrire. Les intellectuels ne se mobiliseront pas pour qu’on le libère, tel un Jean Genet ou un Roger Knobelspiess. Pourtant, à l’heure où l’autoritarisme libéral tombe le masque, on serait bien avisé de rendre ce scandale carcéral encore plus scandaleux.

Bruno Le Dantec

Faites sortir l’accusé – Brève histoire d’un prisonnier longue peine, de Pierre Guérinet et Philippe Lalouel, est distribué en DVD par les éditions du Bout de la ville.

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