Sur la Sellette (chronique judiciaire)

La délinquance dans la peau

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Une illustration de Jérémy Boulard Le Fur

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2025. – Vasil B., né il y a 40 ans en Géorgie, comparaît pour avoir presque volé un manteau et une roue.

La présidente résume le dossier, que l’interprète traduit au fur et à mesure :

– « Un témoin a appelé la police pour dénoncer deux personnes qui s’affairaient autour de la roue d’un véhicule. Vous avez été arrêté un peu plus loin alors que vous teniez une clé pour dévisser les écrous et que vous portiez des traces de cambouis sur les mains.

J’ai tenté de voler, je regrette mon erreur. Je vous demande de prendre en considération ma situation : j’ai fait une demande d’asile, mais je n’ai pas de papiers, je ne reçois aucune aide.  »

La présidente l’interrompt : « Et sur les faits ? La personne qui a appelé la police a dit qu’il y avait deux personnes. » Le prévenu répond que l’autre personne n’avait rien à voir là-dedans.

La deuxième infraction pour laquelle Vasil B. comparaît est plus ancienne : trois mois plus tôt, il a tenté de voler un manteau dans un magasin Intersport. La sécurité l’a interpellé avant qu’il sorte et a appelé la police.

Le prévenu s’explique longuement, après quoi l’interprète se contente de résumer : « Il reconnaît. »

« Vous avez notamment une araignée tatouée, ce qui signifie que vous êtes un toxicomane, et un poignard qui dit que vous êtes un agresseur sexuel. Ces tatouages indiquent que vous appartenez au camp des voleurs patentés ! »

La présidente continue placidement : « En garde à vue, vous dites avoir voulu voler cette parka parce que vous dormiez dehors et que vous aviez froid », mais change soudain de ton : « La visite médicale a permis de découvrir que vous avez de nombreux tatouages sur le corps, dont certains sont caractéristiques du clan des Vory V Zakone, une fraternité régie par un code d’honneur en Géorgie… »

Après un silence mélodramatique, elle enchaîne par des informations directement tirées de Booska-p, « le site de référence de la culture des jeunes urbains » : « Vous avez notamment une araignée tatouée, ce qui signifie que vous êtes un toxicomane, et un poignard qui dit que vous êtes un agresseur sexuel. Ces tatouages indiquent que vous appartenez au camp des voleurs patentés ! »

Vasil B. a l’air un peu perplexe : « J’aime juste les tatouages. Par exemple la Balance et le Scorpion, c’est pour mon signe astrologique. »

Dubitative, la présidente passe néanmoins la parole au procureur pour ses réquisitions. Lui n’a pas l’air aussi ému par les histoires de gangs mafieux d’ex-URSS qui volent des roues et des vêtements. Il se borne à constater que le prévenu n’a pas de casier et propose « une peine d’avertissement » : de la prison avec sursis.

L’avocate se lève pour sa plaidoirie : « Monsieur B. essaie seulement de survivre jusqu’à ce que sa demande d’asile soit examinée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il l’a déposée en octobre et il a rendez-vous fin janvier. Intersport a récupéré le manteau et ne s’est pas constitué partie civile ; les propriétaires de la voiture non plus : les faits sont certes dérangeants, mais minimes. »

Le tribunal le condamne à 6 mois de prison avec sursis et la présidente conclut : « Cette condamnation apparaîtra sur votre casier. »

Casier qui risque de faire échec à sa demande d’asile.

Par La Sellette
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Cet article a été publié dans

CQFD n°238 (février 2025)

Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.

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