La chronique judiciaire absolument épatante
Tribunal de Marseille. La juge est une femme d’une quarantaine d’années. Un jeune homme succède à un autre qui vient d’être renvoyé en détention : « Monsieur M., il vous est reproché d’avoir été l’auteur de violences contre un fonctionnaire de police, monsieur A., entraînant une ITT de quatorze jours, avec ces circonstances aggravantes que les faits ont été commis en état d’ivresse manifeste et en état de récidive légale. Vous avez nié les faits. La question qui va se poser aujourd’hui est celle de votre maintien en détention en attendant le procès. Vous vous trouviez dans une discothèque. Vous avez mis en cause la qualité de policier de Monsieur A. et vous avez refusé de partir. Monsieur A. dit que vous lui avez cassé volontairement la cheville. Vous, vous dites qu’il a été déséquilibré. – Oui. – Alors, vous avez toujours travaillé comme peintre en bâtiment et vous gagnez… 2500 euros par mois ? » La présidente s’interrompt, interloquée. « Oui, je travaille avec mon cousin, on a une boîte. – Votre cousin craint de mettre la clef sous la porte si vous êtes incarcéré. Vous avez un casier pour des faits similaires : violences aggravées, outrage, rébellion, destruction de biens servant de décoration publique. Vous n’êtes pas quelqu’un de calme hein ? – C’est quand je bois. J’ai été suivi. – Eh bien ça ne suffit pas. Une destruction de bien servant de décoration publique, quand même ! Si vous ne supportez pas l’alcool, ne buvez pas ! » Le procureur fait deux phrases pour demander le maintien en détention, l’avocat en fait quatre pour demander la remise en liberté : « Ne pas faire droit à sa demande de remise en liberté ferait peser un gros risque sur une petite société et on sait la difficulté des petites sociétés aujourd’hui. » Un jeune policier est chargé de la surveillance du public, il est gêné, sourit aux gens et n’ose pas faire taire les chuchotements. Arrive dans le box un grand gars tout aussi gêné, américain, accompagné de son interprète. « Monsieur J., il vous est reproché d’avoir tenté de soustraire frauduleusement des objets au détriment de Monsieur E., pharmacien. La procédure ne peut pas être jugée parce que la victime n’a pas été prévenue, mais nous allons statuer sur votre maintien en détention. – Je suis vraiment désolé, je n’ai jamais fait une chose pareille auparavant. Je m’engage à revenir. Mon but était de rejoindre la légion étrangère et je ne veux rien faire qui puisse entraver ce plan-là. – Alors, les faits sont particuliers parce que cela s’est passé dans une pharmacie dévastée où tout avait été renversé et lui on le retrouve à l’étage partiellement dénudé, c’est-à-dire sans caleçon ni pantalon, complètement ivre. Comment il est arrivé là dans cet état, l’enquête n’a pas pu le déterminer. » Ça n’amuse pas le procureur : « Il y a un préjudice important eu égard aux dégâts et aucune garantie qu’il se représente. Il a donné un faux nom lors de son arrestation, il a fallu l’intervention du représentant du consulat pour établir sa véritable identité et il était recherché par les autorités américaines pour des faits que nous ignorons. Est-ce pour cela qu’il veut rejoindre la légion étrangère ? Je ne sais pas… » L’avocate s’énerve : « Il a été pris en charge par sa congrégation religieuse et placé dans une famille. Un ’’préjudice important’’ ! Attendons l’audience au fond pour employer de tels qualificatifs : la victime déclare qu’il n’y a pas eu de vol mais des dégâts. Sur le fait qu’il a donné un faux nom : il a été interpellé à 3h15 du matin et il a fallu attendre trois heures pour qu’on fasse état de sa nationalité et qu’on ait recours à un interprète. C’est absolument épatant de voir à quel point les bruits vont vite dans notre ville : j’entendais y compris dans cette salle qu’il était menacé d’une extradition. Nous n’avons aucun élément pour dire qu’il nous ment. Ce qui est désagréable, c’est de penser qu’il risque de partir dans le car touristique des Baumettes uniquement sur ce motif. » L’avocate se rassoit, la présidente fronce les sourcils : « Je ne comprends pas cette allusion à l’extradition alors que le tribunal n’a jamais prononcé ce mot. » L’avocate se relève : « C’est dans la procédure d’hier, Madame la présidente. – Mais ce ne sont que des rumeurs, le tribunal décide encore en droit et en fait ! » Après les délibérés, M. est maintenu en détention jusqu’au procès prévu 20 jours plus tard. Il envoie un baiser à sa famille. Et J. est placé « sous mandat de dépôt, parce que vous êtes sans domicile en France et qu’il y a un risque de réitération ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°89 (mai 2011)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°89 (mai 2011)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
Par
Mis en ligne le 07.07.2011
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°89 (mai 2011)
Derniers articles de Juliette Volcler