Queen Kong

L’espoir est une discipline

Avec son film Halte, sorti en juillet 2019, soit il y a plusieurs années-lumière, le réalisateur philippin Lav Diaz faisait de la science-fiction. Dans un territoire laminé par des épidémies justifiant un contrôle permanent et intrusif de la population, survolé de drones inquisiteurs, plongé dans une nuit permanente évoquant l’absence de perspective et le confinement, un président schizophrène régnait avec un autoritarisme croissant sur une population habituée à raser les murs. L’action n’était certes située qu’en 2034, mais tout est allé un peu plus vite que prévu.

On le sait, le virus qui a heurté de plein fouet le monde que nous connaissions accélère, amplifie, grossit, dénude tout ce qui existait déjà auparavant. Au plus profond de ce que nous sommes, il nous est désormais de plus en plus difficile de faire semblant de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas sentir, même là où nous y étions auparavant plus ou moins contraints pour continuer à vivre.

Dans cette crise, l’ignorance, le pessimisme, le despotisme, le narcissisme, le mythe de l’homme fort et du libérateur, la gestion des individus et des pays comme s’ils étaient des entreprises, la difficulté à trouver du sens, le mépris pour l’environnement et l’ensemble du vivant atteignent un paroxysme. Et pourtant, si cette crise nous est si difficile à vivre, c’est bien que tout n’est pas perdu. « Tant qu’on peut dire que ça ne pourrait pas être pire, c’est qu’on n’a pas encore atteint le pire », disait l’écrivain Karl Kraus dans l’Autriche des années 1930.

Dans Halte, qui porte bien son titre, comme pour ordonner l’arrêt d’un monde qui ne pense plus qu’à se hâter vers sa fin, le leader d’un groupe de résistants obstiné dans son opposition à la dictature voit sa route bifurquer alors qu’il tombe par hasard sur un camp d’enfants orphelins qui parlent, jouent et rient autour d’un feu. Il s’arrête, les regarde, se sent touché par eux. Il réoriente sa lutte, dorénavant moins motivée par ses réflexions théoriques et la destitution d’un monstre que par son sentiment de communauté avec ces êtres humains qui l’entourent.

Ne pas nous endurcir. Ne pas cesser de nous regarder les uns les autres. Ne pas étouffer notre rage face à ceux qui méprisent la vie humaine au point de ne la considérer que comme le carburant d’une économie, notre tristesse devant ceux qui meurent seuls et dans des conditions indignes, notre joie avec ceux qui veulent continuer à rire, à réfléchir et à vivre avec nous. Ne céder aux pièges ni des technocrates entrepreneurs d’eux-mêmes, ni des donneurs de leçons revenus de tout, jamais déçus et jamais trahis puisqu’ils avaient toujours prévu le pire. Le soin, l’empathie, la solidarité : plus que jamais, ces comportements dont on n’a pas cessé de nous faire croire qu’ils étaient l’apanage des femmes nous seront nécessaires.

Sans oublier l’espoir, que la militante américaine Mariame Kaba1 propose de considérer comme une discipline. Il n’interdit ni la tristesse ni le découragement, n’empêche pas de considérer qu’il y a des raisons légitimes de vouloir baisser les bras ; mais il porte en lui l’idée qu’un changement est toujours possible, dans un sens comme dans l’autre ; que contrairement à une minorité de personnages méprisables, une majorité souhaite un monde juste ; que nos temporalités et nos actions sont insignifiantes au regard de la longue histoire dans laquelle nous nous inscrivons, mais peuvent changer la vie de celles et ceux qui nous entourent ; et que c’est peut-être le plus important.

Marie Hermann

1 Son slogan « Hope is a discipline » a notamment été repris par la Women’s March et par la future présidente du monde Alexandria Ocasio-Cortez.

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