Grève au collège

L’Estaque prend la route

Un collège marseillais rue dans les travées.Grèves,camping-occupation, assemblées communes profs-parents et « caravane pour l’éducation » poussant la colère jusqu’à Paris. Contre la casse, si les hiérarchies sont en dessous de tout, la base est, elle, bien remontée.

« APRÈS NOUS AVOIR LICENCIÉS, ils s’en prennent à nos enfants ! » Le slogan sonne clair dans ce quartier du nord de Marseille où la mentalité ouvrière reste vive malgré la fin des industries locales. C’est sous un soleil frileux et autour d’une table de jardin qu’un enseignant et quatre parents d’élèves reçoivent CQFD. Florent, jeune prof d’histoire-géo, synthétise l’affaire : « La contestation porte sur la dotation globale horaire [DGH]. C’est-à-dire l’évaluation des moyens alloués pour la rentrée 2010-2011. Elle prévoit la perte de 12,5 heuresposte, transformées en heures sup’, à laquelle il faut ajouter la perte de 4 heures sur la dotation globale. Au même moment, l’effectif du collège va passer de 639 à 646 élèves, alors qu’il a été conçu pour 600. On est classé ZEP, “ambition-réussite” et “zone violence”, pour gérer le rapport souvent négatif que les gamins ont avec l’école. Il y a deux types de zones :“sensible” et “violence”. Ici, c’est “violence”… Malgré ça, on est parmi les plus mal dotés du département en heures et en nombre d’élèves par classe. »

Début mars, une première journée de grève est suivie à plus de 95 %. Le CA d’établissement refuse de voter la DGH. Lors d’un premier entretien avec l’inspection académique [IA], le 4 mars, un certain M. Demougeot reconnaît que les revendications sont légitimes et s’engage à les faire remonter par voie hiérarchique. « Mais la réponse de l’inspection d’académie ne concerne qu’une minorité d’heures. » Après une nouvelle grève, trois parents d’élèves plantent des tentes devant le collège pour protester contre l’abandon éducatif des quartiers. Réunis en AG, des profs décident d’occuper eux aussi le parvis. Un goûter est organisé le jeudi 18 mars, auquel participent une cinquantaine de parents avec leurs gamins. Le vendredi, une assemblée réunit à l’extérieur de l’établissement une quarantaine de parents et de profs. Le cercle des occupants s’élargit.

Le mardi 23, jour de grève nationale, est massivement chômé à l’Estaque. Le mercredi, lors d’une journée « collège mort », seul 15 % des élèves attendus se présentent en cours. L’après-midi, une délégation de parents et profs est reçue à l’IA. « Là, le ton avait changé : mépris et fin de non-recevoir. Demougeot a relayé le discours prononcé par Sarko deux heures plus tôt : contre l’absentéisme, suppression des allocations familiales ! On est ressorti furax. » Franck, en jogging et écharpe de l’OM : « Selon lui, s’il y a des problèmes c’est parce que les profs sont nuls et nous on est des mauvais parents. Il nous provoquait, on aurait dit qu’il voulait qu’on le frappe ! » Les Estaquéens prennent alors contact avec les lycées environnants. Le lendemain, réunis en AG, les profs de Saint-Exupéry écrivent à l’IA : « Nous sommes scandalisés par la manière humiliante voire menaçante dont la délégation du collège de l’Estaque a été reçue hier, mercredi 24 mars, par vos services. »

Une nouvelle AG décide de lever le campement pour aller planter les tentes devant la mairie centrale. Franck : « Le quartier s’est soudé autour de son collège. On ne savait pas trop ce qui se passait à l’intérieur. On y envoie nos gosses, mais c’est comme s’ils allaient à l’usine, rien ne transparaît. Les AG profs-parents ont fait tomber ce mur-là. » Maryse est effarée : « Nos gamins nous parlaient de bousculades, de bagarres, de défaut de surveillance, d’absence de PQ » Franck se souvient : « Un jour, j’attendais ma gosse devant le collège et il y a eu une bousculade. Il n’y avait que deux surveillants pour contrôler les carnets de centaines de minots qui n’avaient qu’une hâte, sortir de là. L’adjointe de la principale est tombée. Je l’ai relevée, elle m’a dit “C’est rien, on peut pas faire autrement” !  » Franck avoue que si la détérioration se poursuit, il envisagera de scolariser sa fille dans le privé. Maryse : « La négation des problèmes va loin. En décembre, la principale a été agressée par trois ados en allant chercher son gamin à l’école et elle n’a pas voulu en parler publiquement. »

Jef, le cheveu en bataille : « Le problème de la représentativité est posé. Les délégués sont très loin de la réalité des quartiers. Ils ne font pas le boulot de coordination. Il y a eu une vraie prise de parole et une désacralisation de ce monde-là. L’IA, c’est incroyable, on dirait une forteresse. Quand la délégation est entrée, on aurait dit qu’on montait à l’échafaud !  » Maryse : « Il faut qu’on se réapproprie l’école, ce n’est pas une église. » Jef : « Mais il y a des réticences, ils ont peur des parents qui rouspètent. Dans ce quartier, les gens ont le verbe haut, tu as un truc sur le coeur tu le dis, et parfois c’est vécu comme une agression par le personnel. On a prévu une sardinade pour faire durer cette rencontre entre profs et familles. » Florent : « Il faut remettre de l’humain dans l’école. J’ai découvert un quartier où je viens travailler tous les jours sans y vivre. » Moralité latente : les syndicats et fédérations n’étant pas à la hauteur d’une situation de casse systématique, c’est la base qui doit non seulement résister pied à pied, mais aussi penser sa stratégie, se coordonner et porter sa parole à l’extérieur. Florent : « On se bat pour avoir un collège qui ait les moyens d’accueillir tous les enfants, y compris ceux des Gitans ou des couches les plus populaires, et pas seulement en garderie jusqu’à la 4e avant de les lâcher dans la nature. » « L’éducation est un droit universel. » C’est sous cette banderole qu’une caravane de profs et parents a pris la route à la faveur des vacances de Pâques. Bivouaquant devant d’autres collèges en lutte, elle veut faire remonter les doléances jusqu’à Paris. « La pression, il faut la maintenir. Sinon, rien ne changera. Je m’étais déjà bagarré avec le comité de chômeurs pour la prime de Noël, ou avec les sans-papiers, mais là, c’est pour nos gosses », souligne Franck en observant sa main tatouée. « C’est ça qui est touchant : on se bat pour l’avenir. »

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