Avocat-paysan contre flic abuseur

Justicier gonzo

Ça n’aura pas fait la une des journaux, mais le 12 avril à Marseille, un gardien de la paix était condamné à deux ans de prison ferme pour avoir agressé sexuellement deux jeunes filles pendant une garde à vue. Rencontre avec Boris, l’un des deux défenseurs des victimes.
par Lindingre

« Se pointer en treillis aurait été mensonger, alors je suis venu comme je plaide, en costard. » Boris Wizenberg, avocat au barreau de Marseille, se présente effectivement en costume noir, pompes violettes et cravate années 1970. Au revers de sa veste, un badge orné d’une étoile noire et d’une kalachnikov rose. À ses pieds, un berger des Pyrénées. « J’aimerais à l’avenir retrouver une attitude plus gonzo, avec l’hyper subjectivité d’un Hunter Thompson. Il ne faudrait jamais se laisser imposer ni la langue ni l’esthétique de nos maîtres. »

Un jour d’été 2008, deux jeunes filles plongent d’une digue interdite à la baignade. Aux policiers qui leur ordonnent de quitter les lieux, elles répondent, « sur un mode buissonnier » : « Va te faire foutre ! » Résultat : garde à vue (GAV) de vingt-quatre heures à l’Évêché, le commissariat central. « À l’époque, la politique du chiffre imposée par Sarko fait exploser le nombre de GAV, jusqu’à frôler le million en un an. » Pendant la nuit, un agent entraîne les deux filles – l’une après l’autre – dans une cellule. Sous prétexte de fouille, il les déshabille et leur fait subir des attouchements. « En mal d’heures sup’, il était en service depuis 48 heures, sans doute dans un état second. » Ce qui n’excuse rien. Trois ans plus tard, alors que le ministère public a requis une peine d’un an avec sursis, la onzième chambre correctionnelle du TGI de Marseille condamne l’agent abuseur à deux ans ferme, peine assortie d’une interdiction définitive d’exercer ses fonctions. « Dans un premier temps, le parquet avait qualifié son délit d’attentat à la pudeur, terme désuet appartenant à l’ancien code pénal. Ce qui allait permettre la relaxe. Nous l’avons fait requalifier en agression sexuelle. » Boris prend ce dossier très à cœur : « J’ai la chance d’habiter dans les quartiers Nord, où mes jeunes voisins se plaignent d’être traités comme des Zoulous par la société. Et c’est pour défendre mes voisins que j’ai passé le concours d’avocat à trente-sept ans, après une jeunesse un peu zonarde, entre intérimaire et ouvrier agricole. » À l’époque, Boris vivait avec ses enfants dans un mobil-home, parmi un groupe de néo-ruraux, sur un terrain aux confins de l’Hérault, presque en Aveyron. Ils y sont encore. « Une source nous permet d’irriguer sans pompe électrique un potager et un verger, mais nous ne sommes pas autosuffisants, nous avons besoin de salaires d’appoint. Au sein des montagnards, nous sommes la tendance punk-hacker. » Avec parfois des dérives à la Vie de Brian…

« Je suis arrivé à Marseille par hasard et par force. J’avais écrit un mémoire de fin d’études sur la répression des infractions sexuelles. On le sait depuis Outreau : l’hystérie collective induite autour des crimes sexuels stigmatise les pauvres et dépeint un prolétariat sordide, sauvage, comme dans une résurgence du discours colonial. Le Monde a un jour titré : “Viol collectif en banlieue : rituel zoulou”1. Dès le XIXe, Jules Vallès parlait de trahison des clercs. Les instits, les assistantes sociales, les psys, les journalistes, les avocats sont invités à se faire complices des dominants, alors que matériellement ils sont plus proches des prolos que des gros actionnaires. Mon mémoire, qui contestait cet entre-soi présidant l’administration de la justice, a été très mal noté. » Changeant de tactique, Boris s’associe avec un confrère sur des dossiers de logement (LOPPSI2 le touche de près) et de droit du travail. Collègue duquel il est aujourd’hui séparé à cause d’une légère divergence : « Je ne conçois pas de défendre indifféremment patron et employé ou proprio et locataire. »

À propos de l’affaire : « La jurisprudence montre que la sévérité de la peine est exceptionnelle, sans doute à cause de son aspect sexuel. Pourtant, l’essentiel n’est pas là. C’est le système qui permet ces abus de pouvoir qu’il faut questionner, et en particulier la GAV. Les policiers y excèdent souvent leurs droits “dans l’intérêt de l’enquête”, mais aussi à des fins personnelles. C’est l’absence d’avocat pendant ces longues heures de non-droit qui permet ces abus. La situation est quasi médiévale : un policier chevalier dispose de prérogatives mal limitées face à un citoyen gueusard aux droits mis entre parenthèses. J’ai dit au juge : “Plus vous serez républicain, plus vous sanctionnerez.” » La réforme en cours, après une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, permettra enfin à l’avocat d’assister aux interrogatoires, mais sans avoir accès au dossier… « Le flic, absent au procès, a fait opposition. Si en appel les juges rabaissent trop nettement le quantum de sa peine, on va penser que la première condamnation cherchait plus à punir son refus de comparaître que la gravité des faits. » Mais Boris n’est pas un acharné du châtiment. « Je ne souhaite à personne de vivre l’enfer des pointeurs aux Baumettes. Et les délits sexuels, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, sont ceux où il y a le moins de récidive … »


1  Le Monde, 19 juin 1990.

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