Place nette pour les JO : exclure plus vite, plus loin, plus fort
JO 2024 : Paris lave plus blanc que blanc
Faubourgs de Marseille, fin avril 2024. Le portail d’entrée est défoncé, ouvert à tous les vents, ça m’arrange. Jonchée d’ordures les premiers mètres, l’allée goudronnée s’avance entre des grilles vertes, délimitant d’un côté un centre social dans la cour duquel des gamins se déhanchent sur « Suavemente » de Soolking, de l’autre un parc envahi de poussettes et d’adeptes de la sieste printanière. Une grosse centaine de mètres et l’ambiance se fait moins bucolique. Surplombant un grand parking désert, deux gros bâtiments jaunis de huit étages dressent leur laideur fonctionnelle à l’écart des regards, gérés par le prestataire social Adoma – ex-Sonacotra. Pas un bruit, tout semble dépeuplé. Je fais le pied de grue au bas des tours, quand un jeune homme finit par sortir. Très timide, il confie s’appeler Lamine et venir de Gambie. Il vit dans les lieux depuis quelques semaines. La suite ? Il ne sait pas trop. Encore quelques jours ici, et il ne bénéficiera plus de ce foyer, sera dispatché dans les environs ou partira pour Paris. C’est d’autant plus flou qu’il n’a pas l’air en forme et tousse comme un damné.
La capitale, Lamine l’a quittée dans un bus affrété par la préfecture de Paris, direction Marseille, « comme les autres », dit-il. Je le suis vers un petit bâtiment qui sert de QG administratif. Venant à notre rencontre, un salarié d’Adoma s’étonne de me voir là : « C’est une zone privée ! » Après m’avoir confirmé que sont logées ici pour trois semaines une cinquantaine de personnes récemment arrivées de Paris l’Olympienne (cela constituerait un tiers des personnes installées ici plus durablement1), il me demande de partir. Croisés devant le portail, deux jeunes hommes d’origine subsaharienne visiblement de mauvaise humeur rechignent à discuter, me disent juste qu’ils veulent repartir à Paris, qu’ici c’est pourri.
Ici c’est un coin paumé du quartier de la Capelette, dans le 10e arrondissement de Marseille, loin du centre-ville, loin des regards. Le bâtiment où vivent temporairement les personnes affrétées de Paris fait partie du dispositif mis en place dans une dizaine de régions françaises pour opérer un « désengorgement », via des « sas de desserrement régionaux ».
Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d’accueil locaux déjà débordés
Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d’accueil locaux déjà débordés.
Régi par une circulaire de mars 2023, ce type de dispositif fait évidemment réagir les associations suivant les personnes précaires. Quatre-vingts d’entre elles, dont ATD Quart Monde, Médecins du Monde ou la Ligue des droits de l’Homme, se sont regroupées dans un collectif intitulé Le Revers de la médaille2 et appellent à cesser le « nettoyage social » en cours, qui se fait dans la plus grande discrétion. « Les sas ont été activés et mis en place sans prévenir la ville et les élus, sans aucune construction avec les acteurs associatifs locaux et les ressources possibles », explique Jean, qui bosse pour Médecins du Monde. Un amateurisme qui a des conséquences : « Gérés par le réseau Adoma, ces lieux sont assez vite dépassés sur les situations complexes, notamment en matière de consommation de drogues, sachant qu’il y a par exemple des personnes venant de la porte de la Chapelle où il y a une présence du crack. »
Marseille n’est pas la ville accueillant le plus de personnes délocalisées, sans doute parce que la ville a aussi des sites olympiques, notamment pour les épreuves de voile. Fin mars, le ministre du Logement Guillaume Kasbarian annonçait que 3 800 personnes avaient déjà été déplacées hors de Paris. Selon une enquête de StreetPress3, les lieux d’accueil sont généralement fort peu adaptés à leur mission : « Comme souvent dans l’hébergement d’urgence, les personnes sont placées dans des hôtels bas de gamme au fin fond de zones industrielles, loin de tout. StreetPress a identifié quatre sas dans ces configurations : Rennes-Montgermont, Beaucouzé en périphérie d’Angers (49), Olivet à dix kilomètres d’Orléans (45) ou Geispolsheim, à 12 km au sud de Strasbourg (67). Gabriel, membre du collectif des migrants de Strasbourg, connaît bien le dernier endroit. Il résume : “Un hôtel miteux très difficile d’accès. Il y a un bus qui passe une fois par heure, et pas tout le temps, qui vous dépose à l’entrée d’un chemin lugubre. Il faut marcher 15 minutes le long de l’autoroute.” » Royal.
Les images sont connues, de Calais à Paris : une armée de bleus caparaçonnés entourant les tentes de personnes exilées et les sommant plus ou moins gentiment de décamper. Mais depuis quelques mois elles s’accompagnent généralement d’une proposition, qu’ils seraient pour l’instant libres de décliner : monter dans un bus les conduisant dans l’un de ces sas de desserrement évoqués plus haut, pour trois semaines de logement garanti. Cela se fait généralement au très petit matin, comme le 30 mars sur un quai de Seine, quand 150 exilés, pour la plupart mineurs non accompagnés, sont réveillés par des CRS. L’un d’eux témoigne avoir déjà fait l’expérience de cet exil temporaire avant de se retrouver à la rue dans une ville inconnue – retenter le coup ? Très peu pour lui4.
Ces opérations d’expulsion, qui s’accélèrent ces derniers temps, concernent aussi des squats, dont certains servaient de refuge à des centaines de personnes. Le dernier en date était situé à Ivry. Considéré comme le plus grand de France et abritant environ 450 personnes, il a été évacué au matin du 17 avril. Un exemple parmi d’autres.
Un nettoyage social des personnes considérées comme indésirables, exilés et SDF, sommées de ne pas faire tâche quand les touristes débarqueront
Alors que la capitale a vu le nombre de SDF augmenter de 16 % en 2023 (coucou Macron et sa promesse de zéro personne à la rue), que les résidences Crous vont mettre à la porte 2 000 étudiants et que de nombreux hôtels autrefois dévolus à l’hébergement social se recyclent en vue des lucratifs JO, cette vague d’expulsions accroît encore la précarité et le traitement inique des indésirables, ballottés au gré des rues et des villes selon les bons vouloir d’un pouvoir accro à l’autoritarisme. « Plus on va s’approcher des JO, plus on va saturer l’espace public de policiers », s’est enflammé le préfet de Paris Laurent Nuñez en avril 2023. La fête s’annonce grandiose. Alors que des associations dénoncent des intimidations lors des maraudes, que des vidéos de CRS gazant les affaires de personnes à la rue sont récemment sorties, que le harcèlement policier semble grimper d’un cran de jour en jour5, on peut se demander si la politique « zéro point de fixation » appliquée à Calais depuis quelques années, pour des résultats désastreux, n’a pas été importée à Paris. Qu’elle soit totalement inefficace en matière de réduction du nombre de candidats au passage n’y change rien. Quand il s’agit de harceler les plus faibles et les plus précaires, la police française répond toujours présente. De vrais champions, pour le coup, portant haut les valeurs de l’Olympie, et notamment le slogan officiel choisi par le comité Paris 2024 : « Ouvrons grand les jeux ! » Médaille d’or de novlangue olympique.
1 Lire « Avant les Jeux olympiques, l’État expédie des exilés en région… pour mieux distribuer des OQTF », L’Humanité, 26/02/2024.
2 Plus d’infos sur leur site : lereversdelamedaille.fr.
4 Migrants : un “nettoyage” social à Paris avant les JO 2024 ? », vidéo de France 24, 09/04/2024.
5 Lire « Crainte d’un “nettoyage social” des sans-abri à l’approche des JO de Paris », Basta, 16/11/2023.]
Cet article a été publié dans
CQFD n°230 (mai 2024)
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Paru dans CQFD n°230 (mai 2024)
Par
Illustré par Gwen Tomahawk
Mis en ligne le 03.05.2024
Dans CQFD n°230 (mai 2024)
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