Frénésie urbanistique

Haro sur Castelnau

À Castelnau-le-Lez, ville voisine de Montpellier, la population et l’urbanisation ont explosé ces dernières années, poussées par un maire dopé aux constructions immobilières. Autour de Montpellier, ce sont 600 hectares qui sont menacés. Reportage en pays bétonné.
Mona Lobert (d’après Frédérique Bazille)

« Ici c’est une ville-béton !  » Sur le parvis de son bar, dans le centre historique de Castelnau-le-Lez, commune collée à Montpellier, Claude s’emporte. « Il y a 25 000 voitures qui traversent le centre-ville par jour. Super, mais il n’y a aucune place de parking, du coup ça nous fait pas plus de clients, juste plus de pollution !  » De l’autre côté de la très fréquentée route qui coupe le petit centre-ville quasi désert de Castelnau-le-Lez, des ouvriers du bâtiment défoncent une vieille maison. La poussière envahit l’atmosphère. À Castelnau, la démographie et les constructions ont explosé ces dernières années. La faute au maire de droite, Frédéric Lafforgue qui, pris de frénésie immobilière, démolit, construit et reconstruit, en carburant à l’artificialisation des sols. Illustration d’une métropole qui étend ses tentacules tous azimuts, quitte à mettre en péril les terres agricoles alentour. Reportage.

Explosion urbaine

En 1868, le peintre Frédérique Bazille, peignait Vue de village. Une jeune femme sous un arbre assise en haut d’une colline. Derrière, un village pittoresque et son clocher entouré de coteaux : Castelnau-le-Lez. 150 ans plus tard, ça n’a plus rien à voir. Les vignobles qui séparaient Montpellier de la petite commune champêtre sont aujourd’hui bétonnés. À Castelnau-le-Lez, la population a quasi doublé en près de quinze ans, avoisinant les 25 000 habitants, et ça se ressent. Les ruelles anciennes du centre-ville, où trône toujours l’église du XIIe siècle peinte par Bazille, contrastent avec l’énorme clinique du Parc construite à ses côtés dans les années 1960. De l’autre côté, la ville nouvelle s’étend : des logements-dortoirs à perte de vue, et une immense avenue où passe le tramway à fleurs (maintenant gratuit) de la métropole montpelliéraine. Le long : des fast foods, concessionnaires, coiffeurs, banques et immeubles tape à l’œil. De chaque côté du tram, une route embouteillée. « Quand ils ont fait le tram en 2006, l’ancien maire de la ville Jean-Pierre Grand (LR) a fait de l’“urbanisme à la parcelle ”.  » renseigne Carine Barbier, élue d’opposition de gauche à la Ville. Cette pratique d’urbanisme « sauvage » vise à vendre des parcelles au plus offrant, sans aucun plan d’ensemble.

« On est sur une construction frénétique de 500 à 600 logements par an, les habitants sont remontés ! »

Aujourd’hui, c’est Frédéric Lafforgue (LR), un de ses anciens fidèles, qui a repris la mairie en 2020 et, avec elle, la saignée urbaine. « On est sur une construction frénétique de 500 à 600 logements par an, les habitants sont remontés !  » dénonce Corine Barbier. Argument principal du maire : il faudrait construire pour passer de 19 à 25 % de logements sociaux, obligatoires pour les communes de plus de 3 500 habitants. « On peut aussi réhabiliter des logements plutôt que construire, dénonce l’élue. Mais le maire veut surtout assouvir l’appétit des promoteurs.  » Aussi, l’essentiel de ces logements se trouve dans le sud de la ville, près de la voie ferrée. « C’est de la ségrégation. Les jeunes attendent toujours qu’on leur mette un city stade. Il n’y a ni espace vert ni jeux pour les enfants.  » Faut-il s’étonner, quand le maire est un ancien agent comptable d’agence immobilière ? Il n’y aurait d’ailleurs pas d’adjoint à l’urbanisme à la mairie de Castelnau. Il dessine les plans lui-même dans son bureau ou quoi ?

Projet hors sol

Mais le prochain projet fait particulièrement grincer des dents. Il est contenu dans le futur plan local d’urbanisme intercommunal de la métropole (PLUi), et est bien évidemment soutenu par Frédéric Lafforgue. Le plan projette le déplacement de la clinique du Parc vers le quartier de Sablassou (à la sortie est de la ville), jusqu’ici relativement épargné par l’urbanisme déjanté. Son nom fait référence aux sols sableux et particulièrement fertiles qui irriguent les cultures du coin depuis des centaines d’années. Ainsi, 7 des 11 hectares menacés concernent des terres agricoles cultivées aujourd’hui pour les céréales ou la vigne. Les autres appartiennent à des maisons privées ou des entreprises.

À l’endroit du futur site, on retrouve une petite dizaine d’habitants. « Sablassou est un poumon vert qu’il faut valoriser et non détruire ! Ces terres sont un bien commun inestimable. Elles alimentent les habitants de la métropole », s’exclame au micro Florence, une résidente d’une cinquantaine d’années. Comme une quinzaine de familles, elle risque d’être expropriée si le projet aboutit, « et je ne vais évidemment pas retrouver mon cadre de vie...  » Pour elle, « Sablassou est un îlot de fraîcheur à défendre. Les gens font parfois vingt minutes de voiture pour venir jusqu’ici faire du jogging, parce que c’est déjà urbanisé de partout ! » C’est aussi un réservoir de carbone, à raison de 50 tonnes par hectare, utile pour lutter contre le changement climatique.

« Les élus imaginent le territoire comme une page blanche, mais quand tu déloges, ça crée du traumatisme. »

Vincent Petit, opposé au projet, membre de l’association Maraîchons à Sablassou1, et aussi hydrogéologue, nous renseigne sur la présence d’aquifères – des réservoirs naturels de stockage d’eaux souterraines « particulièrement pratiques en période de sécheresse et parfaitement adaptés à la culture agricole. Les projets urbanistiques pompent ces eaux et mettent en danger les réserves ! » Le déplacement de la clinique risque également de polluer les eaux des aquifères « puisque la pollution des surfaces par l’urbanisation de ces terres contaminera ensuite les eaux ! » De quoi faire réagir le maire ? « Bien sûr que non, il refuse toute étude indépendante. Il est hors-sol ! Faut pas oublier que c’est surtout un comptable. » grince Vincent Petit.

Plus généralement, Valérie Lavaud, géographe à l’Université de Montpellier, perçoit « une planification digne des années 1960-1970, peu transparente, peu démocratique. Les élus imaginent le territoire comme une page blanche, mais quand tu déloges, ça crée du traumatisme.  »

Bétonner jusqu’à la fin du monde

Si les projets urbains menacent Castelnau-le-Lez et ses terres, le reste de la métropole n’est pas en reste. Ce sont près de 56 projets d’envergure sur 600 hectares qui sont présents dans le PLUi et qui risquent d’être artificialisés dans les prochaines années. Dans un court document de 2022 détaillant le PLUi, la seconde vice-présidente déléguée à l’urbanisme de la métropole Coralie Mantion, qui a depuis démissionné, détaillait des objectifs tels que « le zéro artificialisation des sols d’ici 2030  », « la préservation des espaces naturels et agricoles  », et la « réduction significative des zones à urbaniser  ».

Pourquoi un tel discours schizophrénique ? On me souffle qu’il s’agit encore de satisfaire les gros promoteurs qui « achètent les terres et construisent à tour de bras  ». Le délai également interroge : « Il nous laisse seulement un mois pour répondre à l’enquête publique et comprendre son dossier indigeste. Une volonté de museler les citoyens de la métropole ?  » questionne l’un des habitants. Tout cela menace la « ceinture verte » de Montpellier, ces zones agricoles tampons entre les communes qui aspirent les émissions provenant de la ville. Un peu plus loin à l’Est, le long de la nationale 113, l’artificialisation des sols a déjà fait de gros dégâts ces dernières décennies : « Les surfaces ont été cloisonnées en parcelles. Puis pompées pour que les sols s’assèchent et deviennent assez stables pour construire. Ils ont tellement drainé que le sol s’est littéralement affaissé de 2 mètres ! On veut éviter ça ici.  » résume encore Vincent.

Ces 20 dernières années, 80 % de l’artificialisation en France se sont fait sur des surfaces agricoles.

Un récent rapport de France Stratégie2, sobrement intitulé « L’artificialisation des sols, un phénomène difficile à maîtriser » pointait les risques de telles politiques à l’échelle nationale. On y apprend que sur ces 20 dernières années, 80 % de l’artificialisation en France se sont fait sur des surfaces agricoles. De quoi paniquer quant à la dégradation des sols et à nos capacités à nous nourrir nous-mêmes dans les prochaines décennies… Le 8 février dernier, l’ancienne déléguée à l’urbanisme démissionnaire de la métropole, droite dans ses bottes, déclarait au média Plurielle-info : « On se battra jusqu’au bout. S’il faut faire une ZAD là, on fera une ZAD !  » Alors que les maires et les métropoles vendent leurs bleds aux promoteurs, au détriment des gens qui l’habitent et de l’environnement, l’heure est peut-être venue, d’eux aussi, les artificialiser ?

Étienne Jallot

1 Qui réunit des habitants de la ville autour d’un projet d’agriculture paysanne sur un demi-hectare non loin du site choisi pour le projet.

2 Service qui produit régulièrement des rapports « indépendants » auprès du Premier ministre.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°240 (avril 2025)

Dans ce numéro, un grand dossier « ruralité ». Avec des sociologues et des reportages, on analyse le regard porté sur les habitants des campagnes. Et on se demande : quelles sont leurs galères et leurs aspirations spécifiques, forcément très diverses ? Et puis, comment faire vivre l’idée de gauche en milieu rural ? Hors dossier, on tient le piquet de grève chez un sous-traitant d’Audi en Belgique, avant de se questionner sur la guerre en Ukraine et de plonger dans l’histoire (et l’héritage) du féminisme yougoslave.

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