En septembre, l’Insee estimait l’inflation à 5,6 % sur un an. Mais sur certains produits du quotidien, ça explose. L’huile de tournesol, en pénurie depuis la guerre en Ukraine, a pris 130 %. Les coquillettes, 30 %. Le PQ, 11 % [1]. C’est énorme. Et tout laisse à penser que ce n’est pas fini.
L’inflation nous parle d’un temps que les moins de 60 ans ne se rappellent pas des masses. On a vaguement en tête les photos des livres d’histoire où l’on voit les Allemands de 1923 retapissant leurs chambres avec des biffetons et achetant leurs patates avec des brouettes de marks contremarqués au tampon rouge : « 5 000 marks 1 milliard de marks » [2]. Mais pour la plupart des Européens d’aujourd’hui, même quand on n’en a pas beaucoup, un sou est à peu près un sou. Bien sûr, sur le long terme, les trucs augmentent ; en une génération, le prix des loyers en France a largement dépassé le seuil d’indécence ; et, de temps à autre, l’augmentation du prix d’un produit de base met une part de la population dans la mouise – et la jette sur les ronds-points. Mais dix balles, dans la vie de tous les jours, ça restait dix balles. Plus maintenant.
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D’où vient cette inflation ? Qui profite de la hausse des prix ? Comment interpréter la réaction des gouvernements qui jettent quelques miettes aux pauvres, et des banques centrales qui augmentent les taux d’intérêt ? Et qu’est-ce qu’on peut faire pour s’en sortir ensemble et le moins mal possible ? À l’origine de ce dossier, il y a notre besoin de récupérer quelques billes de compréhension afin d’espérer recevoir la vague moins violemment et, surtout, la nécessité d’aller gratter ici et là les pistes d’organisation collective à imaginer.
Pour nous aider à mieux saisir les logiques de ce foutoir, Romaric Godin, journaliste économique à Mediapart, a répondu à nos questions. Sa conclusion est claire : l’inflation est le résultat des dysfonctionnements du capitalisme contemporain ; pour pouvoir continuer de se goinfrer, les élites s’apprêtent à faire cracher les classes populaires ; et on ne s’en sortira que par les luttes [lire pp. 12, 13 et 14]. C’est ce qu’ont bien compris nos camarades du Royaume-Uni, où la bérézina économique a soudainement mis fin à des décennies d’atonie sociale. Go on, folks ! [pp. 10 et 11]. Pendant ce temps, sur certains points du globe, d’autres emploient la manière forte. Ainsi de ces Libanais qui, depuis quelques mois, se sont mis à braquer leur propre banque pour récupérer leurs économies. Des mobilisations qui ne sont pas sans rappeler celles de Sénégalais qui en 2011 sont allés jusqu’à mettre le feu à des agences de la compagnie nationale d’électricité [p. 18]. Tout cramer. La recette est ancienne, elle n’en reste pas moins excellente.
En France, on n’en est pas là. Les conseils des radios et des télés [p. 15] pour économiser trois sous – « ne pas faire ses courses quand on a faim » – pourraient donner à plus d’un des envies de décapitation collective. Mais dans l’immédiat, il faut bien survivre. Alors de mille manières on bricole, on se débrouille, par exemple comme ces chiffonniers qui vendent leurs maigres trouvailles sur le marché informel qui jouxte les puces de Marseille, à l’orée des quartiers Nord de la ville [p. 16]. Et puis, ici comme ailleurs, des Gilets jaunes, toujours mobilisés, tentent d’initier un mouvement d’auto-organisation et de lutte contre l’augmentation des prix [p. 17]. En attendant que le brasier prenne, on médite des expériences inspirantes, comme celle de ces quatre voisins qui, il y a une dizaine d’années, ont fait caisse commune pendant deux ans – avec des résultats qui ont dépassé tous leurs espoirs [p. 19]. De petites pratiques d’auto-organisation comme celle-ci, il en faudra bien davantage. Car face au retour de l’inflation qui nous laisse comme deux ronds de flan, une chose est sûre, il n’y aura de survie que collective. Adelante !