C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS

Esclave, un métier d’avenir ?

La crise aidant, on hésite moins à exploiter son prochain, surtout s’il est vulnérable. L’esclavage contemporain est un phénomène qui traverse tous les milieux et toutes les classes sociales. Avec, toujours, la redoutable volonté d’humilier l’autre. Témoignages .

« JE SUIS SEULE, PERDUE DANS LE DÉSERT, sans aucun chemin à suivre. Ou alors au milieu de la mer, j’ai froid, et l’horizon est vide. » D’une voix hésitante, Mirana1 raconte les cauchemars qui la hantent. Pendant un an, de mars 2008 à janvier 2009, cette jeune Malgache, venue comme fille au pair, a été l’esclave d’une riche famille anglaise du Var. Levée à 6 h, couchée à 22 h, empêchée de se laver, de téléphoner à sa famille, de recevoir du courrier, privée de contacts extérieurs, humiliée...

Tout avait pourtant commencé comme un conte de fées. Depuis Madagascar, Mirana s’inscrit sur un site web : aupairworld.net. Elle veut continuer ses études de commerce en France. Très vite, une famille la contacte avec à la clé un contrat en or : six heures de travail par jour, deux jours de congés par semaine, des cours de français payés en plus de l’indemnité légale et quinze jours de congés en Angleterre. Ses nouveaux patrons paient même le billet d’avion. Les trois premiers mois à l’essai se passent bien : la maison et son parc sont superbes, il y a même une piscine. Certes, elle n’a qu’un jour de congé au lieu des deux prévus, l’indemnité ne lui est pas versée et les cours de français tardent à démarrer, mais on lui demande poliment d’être patiente. Cependant, peu à peu, ça dégénère. La chambre de Mirana ne ferme pas à clé : un jour, elle constate la disparition de son passeport. Elle n’a toujours pas de carte de séjour. Les enfants l’espionnent et rendent compte de ses moindres faits et gestes à leurs parents. Remarques désobligeantes et menaces se succèdent. On lui supprime son jour de congé : « Tu ne travailles pas assez, l’ancienne fille au pair était plus courageuse », « Tu es née dans un pays pauvre, tu n’as pas ta place ici, tes diplômes ne seront jamais reconnus », « Si tu parles à quelqu’un, je t’embarque directement à l’aéroport et je te renvoie chez toi, je suis hôtesse de l’air, je peux acheter un billet tout de suite ».

par Roy

Mirana ne peut pas rentrer Madagascar sans avoir « réussi » et elle n’ose rien dire à ses parents. « C’était un chantage permanent. J’essayais toujours de trouver une solution amiable, mais ils disaient toujours non. Je me sentais coupable de tout, d’être venue, de rester. Je me sentais redevable, car ils avaient payé mon billet. Déposer plainte ? J’aurais eu l’impression de les trahir. » Un jour pourtant, Mirana se confie aux membres de l’église adventiste qu’elle fréquente. Sa « libération » est organisée avec l’aide des autorités et elle est prise en charge par l’association Esclavage tolérance zéro (ETZ)2, basée à Marseille. Avec la crise, l’esclavage est devenu une tendance lourde : les signalements ont doublé depuis l’année dernière, environ deux cents à ETZ, qui pourtant n’en reçoit que 10 %. La très grande majorité des victimes sont des femmes et elles viennent à 60 % d’Afrique, surtout du Maghreb. Un tiers d’entre elles sont arrivées mineures. Le recrutement est aussi bien intrafamilial que par Internet, ou par annonce directement en France.

Hitesh Patel, lui, a été exploité par un compatriote. En 2002, il arrive en France avec un visa touriste. Il trouve du travail dans un restaurant indien de Manosque, au noir, évidemment. « Je devais être payé 500 euros par mois, nourri et logé. Le patron m’avait dit qu’avec cet argent, il allait m’acheter un titre de séjour en Espagne. Puis il m’a dit que l’intermédiaire l’avait arnaqué, qu’il avait volé mon passeport. J’étais coincé, j’avais peur. Je travaillais sept jours sur sept, midi et soir. Je n’avais droit qu’à une douche par semaine, alors que je travaillais en cuisine. Pour économiser l’électricité, le patron refusait qu’on branche la hotte aspirante. Plusieurs fois, j’ai fait des malaises à cause des gaz brûlés. » En 2005, un contrôle de l’inspection du travail met fin à son calvaire. Hitesh porte plainte aux prud’hommes et obtient une carte de séjour temporaire.

Aujourd’hui, il travaille à Emmaüs et attend son procès au pénal, pour travail dissimulé. « Bien que la notion de traite des êtres humains ait été introduite dans le Code pénal en 2003, elle n’a jamais été utilisée lors d’un procès. Les faits sont toujours requalifiés en travail dissimulé, maltraitance ou aide au séjour irrégulier. D’ailleurs, la traite n’est qu’un délit, même pas un crime », explique Nagham Hriech, directrice d’ETZ.

Mirana aussi a fini par déposer plainte et l’enquête est en cours. Elle est toujours accompagnée par l’association et a repris une formation en droit. « C’est important pour moi qu’il y ait un procès et que je sois reconnue victime, sinon, je n’arriverai pas à tourner la page. J’avance, j’ai un boulot, je commence à avoir des amis, mais c’est dur. Le soir surtout... Même pour des petites choses, j’ai peur de dire oui, j’ai peur de dire non. Parfois, je ne sais plus comment me comporter avec les autres. »


1 Le prénom a été changé.

2 L’association ETZ « prend en charge globalement toutes les victimes de la traite des êtres humains sous toutes ses formes (servitudes économiques diverses, prostitution,mendicité contrainte,mariages forcés,esclavage domestique...) dans une optique de reconstruction de l’identité de la personne et de sa dignité. Cette prise en charge est sociale, médico-psychologique, juridique et administrative. »

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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