Alors qu’outre-Manche, les élections législatives se profilent à l’horizon du mois prochain [1], quel est le point commun entre les nationalistes écossais du SNP (Scottish National Party), les europhobes du UKIP (United Kingdom Independence Party) et la gauche anti-austéritaire du Green Party ? Tandis que les premiers luttent pour larguer leurs amarres du ponton britannique, les seconds s’enflamment contre l’Union européenne et les derniers virent à gauche toute, excavant tant bien que mal État social, écologie et « vivre ensemble ». À priori, difficile de leur prêter une quelconque ressemblance. Tous, pourtant, ont longtemps été frappés du discrédit de l’establishment britannique, souvent relégués aux périphéries du débat public, et tous connaissent une popularité inédite en vue des élections.
À eux trois, bousculant le confortable bipartisme dans lequel travaillistes et conservateurs s’étaient lovés, ils feraient « le scrutin le plus incertain d’une génération ».
Au Nord, ni la décentralisation des pouvoirs mise en œuvre par Tony Blair dans les années 1990, concédée pour apaiser les braises nationalistes, ni le découpage électoral freinant les majorités écrasantes n’ont pu endiguer l’essor du SNP. Depuis l’échec du « oui » au référendum sur l’indépendance écossaise en septembre dernier, le parti a vu le nombre de ses militants quadrupler et plus personne ne doute qu’il enverra plusieurs dizaines de députés à Westminster. Au détriment du Parti travailliste qui a longtemps compté sur l’Écosse pour s’abreuver en sièges parlementaires. Non seulement dépassé par un programme social (en apparence) plus téméraire que le sien et pris de paralysie face aux indépendantistes, Ed Miliband, le leader travailliste, pourrait dire adieu à 41 de ses alliés du Nord (ceux du Scottish Labour) pour n’en garder que… trois. C’est suffisant pour lui ôter tout espoir de majorité.
Débordé sur la gauche, le leader travailliste l’est aussi face au Green Party, que son ambitieux projet social a aussitôt condamné aux railleries de la presse conservatrice. Seulement, ça n’empêche pas les Verts de jouir d’un électorat remarquablement plus jeune que ses adversaires et de compter sur davantage de militants que les libéraux démocrates (qui partagent le pouvoir avec les conservateurs). Si le parti n’est crédité que de 5% des intentions de vote, son projet anti-austéritaire redonne du souffle à la critique du consensus néolibéral.
Au sud du royaume, l’irruption de la droite radicale devrait priver David Cameron d’une dizaine de députés. Longtemps moqué par ses adversaires, l’UKIP leur a infligé une insolente défaite aux élections européennes de mai dernier, envoyant 24 députés au Parlement de Strasbourg avec une confortable avance. Un peu avant, David Cameron avait qualifié leurs supporters de « barjots et racistes inavoués »… ceux-là mêmes qui constituent environ 14% de l’électorat britannique et qu’il essaie désormais de rameuter dans son propre camp. Ignorés depuis une trentaine d’années par les partis de gouvernement, certains électeurs de la classe ouvrière blanche, sensibles au populisme anti-élites, ont trouvé en la personne de Nigel Farage, leader du parti, un référent culturel « authentique » et une rupture politique.
Ainsi, à quelques semaines des élections, l’imagination débordante des journalistes leur a déjà fait entrevoir l’apocalypse : adviendra-t-il une coalition historique entre travaillistes et conservateurs pour assurer une majorité au Parlement et « préserver la stabilité du royaume » ? Une hypothèse dont se désintéresse d’ores et déjà un bon tiers de l’électorat britannique, comme en France, comme un peu partout en Europe.