Délit de faciès, même pour Guéant
C’est l’histoire d’un Arabe qui est né en France. Un Arabe qui boit de l’alcool et mange du porc. Un Arabe qui a lu Bakounine et qui était le premier à moquer les bigots mahométans. Un Arabe qui se traitait lui-même de « bougnoule », juste histoire de déconner avec les copains. Le lendemain du massacre de Charlie Hebdo et de l’Hyper-Cacher, Saïd1 traverse la place d’une grande ville quand, pour la première fois, il ressent un violent malaise. Sa tête d’Arabe était toujours arrimée à ses épaules, mais au fond, c’était comme si elle était fichée au bout d’une pique. Tout d’un coup, la foule n’est plus ce troupeau confortable dans lequel il se serait senti anodin ou anonyme. Saïd raconte : « Je me suis senti suspect. »
Après le plan-séquence hollywoodien du train Thalys qui a vu une poignée de braves neutraliser un islamiste enfouraillé et prêt à commettre un carnage, Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, a lâché sa bombinette : « Je préfère qu’on discrimine pour être efficace plutôt que de rester spectateur. » Polémique, cris d’orfraie ou applaudissements, les barons politiques ont fait leur show. Prenant la défense du socialiste décomplexé, une tribune du 25 août 2015 de Pierre Beylau, ancien rédac’ chef du Point, nous rappelle que ce vilain mot de discrimination est avant tout affaire de bon sens : « Quoi qu’on en dise, les terroristes sont rarement recrutés parmi les travailleurs ayant un emploi stable, une vie sociale et familiale transparente. Mais plutôt parmi les traîne-savates déboussolés, habitués des séjours en prison, où généralement ils perfectionnent leur apprentissage. Ces derniers seront ipso facto davantage dans le collimateur de la police que les cadres et employés, quelle que soit leur origine, qui se pressent sur l’esplanade du quartier d’affaires de La Défense à l’heure de la pause-déjeuner. » C’est dans le filigrane que se lit le mépris de classe.
Claude Guéant – pour rappel : ex-ministre de l’Intérieur qui multiplie les casseroles dans diverses sombres affaires de la Sarkosie – banalisait lui aussi la discrimination sur l’antenne de BFM, le 25 août, en affirmant « qu’il y a des gens qui ont plus une allure de délinquant que d’autres ». Fait troublant, il se souvenait avoir été lui-même victime d’un contrôle « discriminatoire » : « Je me souviens, un jour, j’ai été contrôlé dans le RER. Il y a tout un tas de gens qui escaladaient les portiques, etc. J’étais le seul en costume-cravate, j’ai été le seul à être contrôlé. » On compatit, avec une telle de tronche de faux témoin, ça ne doit pas être facile à porter tous les jours !
L’antiterrorisme comme mode de gouvernement, la preuve par neuf a été apportée depuis l’affaire de Tarnac. Suite à la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, le portail de la gendarmerie d’Eymoutiers (Haute-Vienne) a été cadenassé lors d’une action symbolique. Début septembre, Grégory, jeune militant, comparaît pour « entrave au mouvement de personnel ou de matériel militaire ». Dans le rapport des pandores, le cadavre toujours juteux de la « mouvance anarcho-libertaire d’extrême gauche » (sic) est ressuscité pour l’occasion2. Réelle ou fantasmée, la menace sert avant tout à justifier une militarisation grandissante de la société. Cet enrégimentement des esprits rend inaudible toute revendication de justice sociale. Mordre la main de tous ces maîtres-chanteurs : le Chien rouge en a les babines spumescentes.
Sur les murs
Marseille, 2015.
1 Le prénom a été changé.
Cet article a été publié dans
CQFD n°135 (septembre 2015)
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Paru dans CQFD n°135 (septembre 2015)
Dans la rubrique Édito
Par
Illustré par Elodie Laquille et Jean-Baptiste Legars
Mis en ligne le 04.09.2015
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