L’édito du n°176
Crocs contre crocs
« L e préfet de police de Paris a réquisitionné une dizaine de clébards dressés pour l’attaque, ordonnant de les démuseler. » Quand on a lu cette phrase dans le Canard enchaîné du 24 avril, notre sang de Chien rouge n’a fait qu’un tour. D’abord parce qu’on déplore qu’on utilise nos congénères canins pour de viles tâches policières. Ensuite parce que l’irruption de cabots à képi dans le paysage confirme que le fond de l’air est à la répression décomplexée.
Semaine après semaine, l’attirail mobilisé ne cesse d’enfler, du retour des voltigeurs motorisés aux marqueurs chimiques dans le liquide des canons à eau, avatars d’une surenchère dont on suit les épisodes en flippant grave. Quand le pouvoir embauche un ultra-réac à mentalité « para » pour mater les manifestations parisiennes1, faut pas s’étonner que les digues sautent. Aujourd’hui, les molosses enragés. Demain, quoi : des robots tueurs ? Des drones à Famas ?
Quoi qu’il en soit, les témoignages s’empilent, dressant tous le même constat : ce samedi 20 avril, à Paris, pour l’acte XXIII, la police était plus que jamais là pour faire mal. Pour blesser2. Pour marquer les chairs de ceux qui s’entêtent à ne pas courber l’échine devant l’alliance matraque-goupillon-tête de con. Et comme ce pouvoir ne recule devant rien, bim !, il s’est payé une nouvelle dégringolade vers Orwell-land en embastillant des journalistes. À l’instar des street-medics, cela fait belle lurette que ces derniers sont cibles de tirs de LBD et de grenades. Mais les arrestations d’Alexis Kraland et de Gaspard Glanz pour des motifs aberrants3 (tout comme la convocation par la DGSI de journalistes ayant publié un document confidentiel prouvant les mensonges gouvernementaux au sujet des armes françaises utilisées au Yémen), montrent clairement que la liberté de la presse est en danger. Idem pour la liberté d’expression : combien de Gilets jaunes poursuivis pour un commentaire anodin sur Facebook ? Après celle de manifester, ça commence à faire pléthore. Il est où le bouton stop ?
Les chiens de guerre sont de sortie, donc, et avec eux une dérive policière liberticide qui ne se cache même plus - la justice étant là pour assurer l’impunité aux condés. Le message est clair : vous ne voulez pas communier devant un discours télévisé lacrymalo-débile et persistez à refuser notre projet politique mortifère ? Primo, vous allez déguster. Secundo, personne ne s’en offusquera, puisqu’il y a des choses tellement plus importantes, genre une charpente religieuse en flamme ou ce besoin irrépressible qu’aurait le peuple français de vouloir travailler plus et se faire sucrer des jours fériés.
Face à ce pouvoir pyromane, on n’espère qu’une chose : que le joli mois de mai confirme son caractère agité et enfile le jaune de chauffe. Parce que sinon, bordel : animal, on est mal.
1 Paris Match raconte que ce nouveau préfet de police, Didier Lallement, ne quitte jamais son uniforme kaki pour superviser la répression – wesh Rambo.
2 Les street-medics parisiens ont annoncé avoir pris en charge 152 blessés ce jour-là.
3 Le premier a passé l’après-midi au poste après avoir été interpellé avant la manifestation, un policier affirmant que sa caméra était une « arme par destination ». Gaspard Glanz, lui, a été touché par une grenade. Demandant des explications, il a été poussé par un policier à qui il a répondu par un doigt d’honneur. Il est ressorti de garde à vue 48 heures plus tard et sera jugé en octobre pour « outrage ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°176 (mai 2019)
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Paru dans CQFD n°176 (mai 2019)
Dans la rubrique Édito
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Mis en ligne le 03.05.2019
Dans CQFD n°176 (mai 2019)
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