Chroniques d’une cour de récré

Chroniques d’une cour de récré est un joli film, tout en tendresse pour ses personnages. Pierrefitte-sur-Seine, 1980 : un père attachant qui s’exprime avec parcimonie, des enfants s’abreuvant de télé, un collègue bricoleur du côté des bagnoles, une petite entreprise créant des liens et des habitudes. Le décor est planté dans ce contexte où la classe ouvrière était encore bien présente. Songeait-on déjà à cette « putain d’usine » ou à « tuer son patron » pour paraphraser Jean-Pierre Levaray ? Sans doute pas encore… malgré le début des délocalisations. Deux univers se croisent, celui des adultes et celui de jeunes adolescents, mais ce sont sur ces derniers que le réalisateur axe son récit à travers la perspective du jeune Brahim.

Brahim a 10 ans et ouvre les yeux sur un monde qu’il perçoit comme une fiction – mélange de quotidien, d’images héroïsées et fantasmées –, mais néanmoins ancrée dans la réalité, sa réalité. S’il a encore la candeur d’un enfant, son regard paraît déjà avoir acquis une certaine maturité.

Dans Chroniques d’une cour de récré, il y a évidemment l’école, les copains, la télé, la famille, l’usine de construction de grues dont son père est le gardien, et en toile de fond les anecdotes du quotidien, mais aussi l’actualité et la politique avec la dictature chilienne et les rapports de classes – les ouvriers, le patron et le directeur du personnel… Il y a aussi la photographie qui va passionner Brahim comme une porte qui s’ouvre sur le rêve et la perception d’un monde subjectif. Visionner un décor, un personnage à travers l’objectif, « prendre » une photo, même sans pellicule parce qu’on n’a pas de quoi se la payer, c’est déjà poser un tout autre regard autour de soi.

Mais au milieu de ses découvertes, de ses partages, et ses désirs, la grève surgit et va provoquer un bouleversement inattendu dans le petit monde jusqu’alors bien agencé de Brahim. La grève, c’est la fête et la solidarité, en même temps que s’opère une prise de conscience et un clivage définitif entre les ouvriers et l’autorité – personnifiés par le patron et son sbire antipathique. La grève ouvre les perspectives d’une autre aventure, d’un changement de vie et de décor… Avec comme élément symbolique, l’effondrement comme un château de cartes de la grue qui semblait immuable.

Dé-lo-ca-li-sa-tion. Après un baroud d’honneur des grévistes pour se redonner une dignité, s’annoncent la crise et le no futur des années 1980… Salvador, l’ami, le complice repart au Chili, Brahim déménage… Pierrefitte, c’est fini ! La récré aussi !

Chroniques d’une cour de récré de Brahim Fritah (France/Maroc, 2012, 1 h 25). Avec Yanis Bahloul, Rocco Campochiaro, Mostefa Djadjam, Dalila Ibnou Ennadre, Billel Baoukel… Sortie le 5 juin.

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