Les « zones sacrifiées » par Engie
Chili con carbon
Engie1, la multinationale française de l’énergie, y exploite en effet des centrales à charbon – depuis 1995 à Mejillones et depuis 1915 à Tocopilla. Elle participe ainsi à transformer ces ports de pêche traditionnels en zones industrielles très polluées, appelées communément au Chili des « zones sacrifiées ». Dans l’indifférence
« La baie de Mejillones était magnifique ! », s’exclame Maria quand elle évoque son arrivée à l’âge de dix ans, juste après le coup d’État militaire de Pinochet. 45 ans plus tard, elle se sent littéralement écœurée par le désastre environnemental et sanitaire qui a frappé son village. Alors, elle a décidé d’agir : « Avec mon association Mejiambiante, on a fait analyser par un chercheur un échantillon de poussière récolté sur le toit du lycée. Il y a décelé la présence de 14 métaux lourds ! » Une plainte a été déposée. Mais rien n’a changé.
Maria est un cas assez rare à Mejillones. La plupart des habitants travaillent de près ou de loin avec les entreprises de la zone industrielle. Et leur préoccupation quotidienne est d’abord de subvenir aux besoins de la famille. Ils ont pour la plupart bien conscience de la pollution. Mais elle est vue comme une fatalité : ils ne peuvent rien y faire !
Il n’en va pas de même pour les pêcheurs artisanaux. Premiers impactés par la pollution marine et atmosphérique provoquée par les usines, eux ne se sont pas laissé faire. Obligés d’aller pêcher plus loin à cause de la diminution de la quantité de poissons et de la contamination des quelques espèces restantes, ils ont obtenu des entreprises polluantes, dont Engie, des compensations. « Aujourd’hui, les entreprises sont régulées, mais avant elles pouvaient polluer comme elles voulaient, explique René, clairvoyant président d’un syndicat de pêcheurs. Tocopilla a déjà beaucoup subi, c’est pour ça qu’elle ne peut plus accueillir d’usines, et encore moins des centrales à charbon. » Et un plongeur industriel, qui travaille pour les entreprises énergétiques, d’ajouter : « La population marine a quasiment disparu. Disons qu’il reste 5 % de ce qu’il y avait auparavant. Je suis bien placé pour le savoir : le fond marin, je le vois tous les jours. Et ce que je vois, c’est d’abord du charbon fossilisé et durci. Même les crabes, au fond de la baie, ont la carapace recouverte de charbon... »
« Énergie fossile la plus polluante »
En novembre 2017, lors de la COP23, une Alliance mondiale pour la sortie du charbon, réunissant vingt pays dont la France, a été créée (depuis, plusieurs multinationales l’ont intégrée, dont Engie). La ministre canadienne de l’Environnement en a profité pour rappeler que « 40 % de l’électricité mondiale provient toujours du charbon, l’énergie fossile la plus polluante ». Et qu’« environ un million de personnes meurent chaque année dans le monde à cause de la pollution de l’air provoquée par la combustion du charbon ».
Sous la pression de la société civile, et notamment de deux ONG (Les Amis de la Terre France et Chile Sustentable), Engie – qui est détenue à près de 25 % par l’État français – a fini par annoncer la fermeture des deux plus vieilles unités de charbon qu’elle possède à Tocopilla2. Une bonne nouvelle ? Limitée, en réalité : les deux unités concernées ne représentent qu’environ 12 % des capacités de production de charbon d’Engie au Chili. La multinationale est d’ailleurs en train de construire une nouvelle centrale à Mejillones. Son nom : Red Dragon. Ça sent le brûlé...
N.B.
L’intégralité de ce reportage, avec plein de belles photos supplémentaires, a été mis en ligne sur le site de Marion Esnault. Pour ne rien gâcher, d’autres chouettes reportages y sont aussi consultables. Hop !
1 Nouveau nom de GDF-Suez.
2 Une usine peut compter plusieurs unités de production – il y en a ainsi 5 à Mejillones et 4 à Tocopilla (moins les deux qui vont fermer).
Cet article a été publié dans
CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Paru dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Marion Esnault
Mis en ligne le 21.09.2018
Dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)