GreenWashing : le bio à la masse

Centrale à charbon de Gardanne et déforestation des Cévennes

Réduire la part des combustibles fossiles tels que le charbon, le gaz, le pétrole, et aussi l’uranium, dans la production d’énergie électrique, voilà bien une nécessité impérieuse. Avec « énergie renouvelable », joli écho au « développement durable », on a la solution consensuelle pour un avenir radieux. Pourtant, nombreux sont ceux qui doutent, notamment des Cévennes au Morvan, de la dimension verte de ces énergies. Surtout que les projets en cours, essentiellement, autour de la biomasse, sont financés à grands renforts de fonds publics pour le seul profit d’industriels très peu sensibles aux questions sociales ou environnementales et encore moins enclins à conduire leur activité dans la concertation avec les populations concernées.

Le châtaignier sort du bois

Alors qu’on pouvait croire le gaz de schiste rentré dans son trou1, voilà qu’arrive un projet de trouées conséquentes dans les forêts destiné à alimenter une centrale thermoélectrique biomasse, la plus importante en France (150 mégawatts), installée à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône.

Il devrait permettre de produire « proprement » de l’énergie à destination de 440 000 foyers selon les dires du maître d’œuvre, tout en permettant de conserver dans l’ancienne cité minière provençale une part des emplois menacés par l’arrêt des tranches charbon. Ce serait là l’opportunité de développer les filières bois. La société allemande E.ON doit investir, dans la transformation d’une tranche de la centrale thermique gardannaise en centrale à biomasse, 250 millions d’euros. Les travaux sont en voie d’achèvement.

Cette installation industrielle aura besoin annuellement de 850 000 tonnes de combustible-bois. Elle devrait se les procurer dans un premier temps, pour une petite moitié dans divers pays, le reste provenant des « filières-bois régionales », ainsi que des déchets verts et des bois de rebut. À terme, la plus grosse part proviendra de forêts comprises dans un rayon de quatre cents kilomètres autour de l’usine.

Parmi elles, donc, les Cévennes au sens large, réparties sur le Gard, la Lozère et l’Ardèche, ont été décrétées ZAP (Zone d’Approvisionnement Prioritaire), incluant les vallées sous tutelle du parc national des Cévennes et les zones Natura 2000. Car dans ce massif montagneux est fortement présent un fort intéressant « minerai » : le châtaignier, d’un rendement calorifique élevé et à la combustion plus « propre ». Peu importe que les points-carbone gagnés d’un côté soient largement annulés par les coûts extravagants du transport depuis ces lointaines montagnes difficilement accessibles. D’autant que, derrière l’argument consensuel de l’énergie renouvelable, se dissimule l’absence de plans de gestion sur la régénération de la forêt après des coupes blanches. L’affaire devrait être, quoi qu’il en soit, rentable – et dévastatrice – puisque les forestiers, vu les conditions économiques des territoires concernés, pourraient s’engager sur des appels d’offres à bas prix, et que l’électricité « propre » ainsi produite sera rachetée au prix fort à E.ON.

Un récent rapport parlementaire, publié le 19 juin 2, préconise, afin que la France « réussisse  » sa transition énergétique, « une stratégie cohérente et ambitieuse pour valoriser l’énergie issue de la biomasse ». Ce qui l’amène à louer le programme « Mille Chaufferies » de territorialisation des projets concernant l’énergie issue de la biomasse, plutôt que la version « centralisée » et monopolistique du plan E.ON sur Gardanne. Les co-rapporteurs soulignent encore qu’« une organisation territoriale des acteurs publics et privés autour de projets de taille raisonnable, privilégiant la production de chaleur, la cogénération et la production de biométhane, présente les meilleures possibilités de succès à un coût raisonnable ».

De quoi satisfaire, sinon rassurer les élus, les collectivités locales, et tout bonnement les habitants des vallées cévenoles qui sont tombés des nues, interloqués à l’annonce faite en catimini de cette OPA sur la châtaigneraie. Car si E.ON a pris soin de réunir récemment à Saint-Hyppolite-du-Fort (Gard) les « acteurs locaux » – forestiers, propriétaires, collectivités locales – pour leur exposer une «  feuille de route » toute en chiffres et en graphiques, ni en Ardèche ni en Lozère la moindre information n’avait filtré alors même que les offres publiques sont déjà lancées. « Pas de quoi s’alarmer », nous dit le référent approvisionnement de la firme en Languedoc-Roussillon, « des réunions d’information se feront à l’automne ». D’information, pas de consultation !

Et l’État dans tout ça ? Les politiques publiques sont inscrites sur le long terme, et bien naturellement les socialistes au pouvoir ont repris à leur compte ce qui s’est concocté pendant l’ère Sarkozy. Le chevalier blanc Montebourg est monté au créneau pour défendre l’emploi à Gardanne – sans la centrale biomasse, le site serait condamné à disparaître, dit-il – sans rentrer dans plus de considérations. Bien sûr, les cadres réglementaires ont été respectés avec l’aval de la Direction régionale de l’environnement et de l’aménagement, la consultation de la Direction départementale du territoire en charge des forêts et le choix par le gouvernement du projet E.ON dans le cadre d’un appel d’offres.

Nombre de Cévenols s’indignent de ce projet. Le refus des coupes rases par trouées dans les bois est unanime. Gérard Crouzat, le maire de Saint-Etienne-Vallée-Française (Lozère) déclare : « Si c’était pour nous débarrasser des pins, je les accueillerais à bras ouverts ». Des collectivités locales ont pris des délibérations pour interpeller les pouvoirs publics et le géant E.ON, demandant des éclaircissements sur les contradictions entre la politique officielle de préservation de l’environnement et la perspective de déboisements massifs sans souci de l’avenir, stigmatisant la non-communication sur cette affaire.

Ce pavé dans la mare ne peut que renforcer la détermination des habitants à continuer la démarche entreprise à la base : écoute des demandes de la population, soutien aux initiatives de type coopératif, choix des circuits courts, développement des réseaux, refus de la centralisation excessive, vigilance quant à l’incidence environnementale des projets. Ce qui paraît en phase avec la multiplication des groupements d’intérêt collectif pour la production locale et sa valorisation. Reste que la menace est bien réelle, et imminente, pour la châtaigneraie : la suite des événements dépendra du rapport de forces. À suivre.

La Classe verte de Nardo

Par Nardo

Biomasse : kesako ?

La demande énergétique sans limite engendrée par la frénésie de consommation met en jeu des masses colossales d’énergies renouvelables : leur part aujourd’hui dépasse à peine les 10 % de la production totale. Sur cette part, le solaire et l’éolien plafonnent à 7 %, l’hydroélectricité à 17 %, le gros des troupes étant la biomasse avec 76 %.

La biomasse, ce nouvel étendard du progrès, n’est rien d’autre que le vivant – le vivant cadavéré y compris. Ce sont les forêts, mais aussi, après défrichage, en lieu et place de cultures alimentaires, la production industrielle de nouveaux carburants comme l’éthanol.

Un rapport du Conseil scientifique de l’Agence européenne pour l’environnement met en garde contre «  la croyance courante qui consiste à affirmer que la combustion du bois ne libère que le gaz carbonique absorbé pendant sa croissance […], sérieuse erreur de calcul qui n’inclut pas dans le bilan la phase de régénération après la coupe. Des défrichements pourrait résulter une augmentation nette des émissions de CO2, avec des conséquences climatiques potentiellement catastrophiques ». À quoi il faut ajouter la réduction de la biodiversité, l’épuisement des réserves en eau, la désolation des paysages dévastés et, pour finir, l’exil des populations : le scénario est déjà en cours.

Citée dans le même document, une récente étude universitaire conclut que « la bio-énergie à grande échelle n’est ni une solution durable, ni une solution neutre en émission de gaz à effet de serre ». Et ses auteurs de souligner que ; si la révolution industrielle du XIXe siècle a initié le changement climatique, le recours au charbon s’est avéré bénéfique pour les forêts, grandes consommatrices de carbone, dans la mesure où les bûcherons ont « baissé un peu le bras » et permis leur régénération en Europe et aux USA…

Le charbonneux E.ON

L’entreprise allemande, troisième groupe mondial et premier européen de la distribution d’énergie, s’est construite, pays d’origine oblige, sur les centrales à charbon. Avec la libéralisation, et la déréglementation associée, il a considérablement diversifié ses activités. Bingo : son chiffre d’affaires a été multiplié par quatre en dix ans. Tout en « remerciant » 20 % de ses salariés entre 2002 et 2006. En plus de la puissance, le groupe E.ON connaît la gloire : il a écopé de la deuxième plus forte amende, 533 millions d’euros, de l’histoire de l’Union européenne pour entente illicite avec GDF-Suez à propos d’une sombre histoire de gaz russe.

Devenu pour partie provençal en mettant la main sur le site de Gardanne, traditionnellement approvisionné par les mines de charbon du coin, il a programmé la fermeture de quatre unités sur cinq, à coups de départs anticipés, de licenciements secs et très peu de reclassements. C’est que le charbon, malgré les techniques qui permettent aujourd’hui de réduire considérablement les émissions polluantes, est le vilain petit canard dans le monde de l’après Grenelle. Bien sûr, ce ne sont ni ses poussières ni les scrupules qui gênent E.ON, classé en 2008 second pollueur européen. Un ancien d’EDF explique qu’aujourd’hui ce groupe industriel nettoie le paysage allemand des centrales qui font tache, main dans la main avec la chancelière Merkel, en réinstallant ces unités de production un peu plus à l’est. Le courant, bien propre, sera ensuite réinjecté à bas prix en Autriche et en Allemagne. Quant aux pauvres, ils seront, comme il se doit, pauvrement payés et gare à eux s’ils se rebiffent : chez E.ON, explique un salarié d’EDF, « reboussier2 et déporté du travail dans les Bouches-du-Rhône », comme il se définit lui-même, « on marche au pas et on la ferme. Gardanne est devenu une forteresse, interdite aux anciens, surtout aux syndiqués ».


1 Bien que le Parlement vienne d’autoriser la poursuite de ce Graal à condition que cela soit fait plus proprement…

2 Râleur et contestataire. On dit aussi roumégueur en Provence et dans le Languedoc, rouspéteur à Paris, caboche à Lille.

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8 commentaires
  • 3 septembre 2013, 20:57, par jean philippe

    même problème dans le Morvan... mêmes causes, même complicité montebourgeoise sous prétexte d’emploi...

    https://www.facebook.com/AdretMorva...

  • 4 septembre 2013, 13:09, par Toto

    > Réduire la part des combustibles fossiles tels que le charbon, le gaz, le pétrole, et aussi l’uranium, dans la production d’énergie électrique, voilà bien une nécessité impérieuse.

    Dans l’état actuel de la technique, croire que l’on va remplacer les centrales thermiques/nucléaires par des éoliennes, du solaire ou même de la biomasse, c’est se bercer d’illusions. Pour une illustration en grandeur nature, voir la situation en Allemagne et au Japon.

    "Pourrions nous vivre comme maintenant avec juste des renouvelables ?" www.manicore.com/documentation/reno...

    • 5 septembre 2013, 19:17, par Snarkk

      J’imagine que la conséquence logique de ce raisonnement est : continuons dans la production d’énergie à la base de ressources naturelles fossiles et/ou dangereuses, soyons réalistes ? Et puis avec un peu de chance, la Science fera des Progrès et nous proposera d’autres méthodes de production d’énergie marchande, d’ici-là, souffrons en silence et ne gênons pas les acteurs de ce marché.

      Cet attentisme, ce manque de courage pseudo-intellectualisé, cette logique terrible n’est viable que si l’on considère que nous devons maintenir (dans le but de l’augmenter) notre niveau de vie et de consommation d’énergie, donc notre empreinte écologique globale.

      Ce qui est impossible, à moins de tenter tout ce qui est en notre pouvoir pour réussir à anéantir l’espèce humaine.

      La transition (1) énergétique doit bien évidemment s’accompagner d’une remise en question sévère de nos habitudes de vie. Elle devrait sonner le glas de la société de consommation et des inégalités, des destructions et du gâchis qu’elle génère chaque jour un peu plus.

      Ce chemin sera plus long et plus difficile que nous le souhaiterions, alors que l’urgence de la situation est connue depuis déjà plusieurs décennies. Mais il arrivera, un jour ou l’autre. A nous de créer les conditions les meilleures possibles, plutôt que de subir un changement brutal, sans "transition", qui n’apportera a priori qu’une bonne dose d’horreur supplémentaire à notre monde.

      Cela nécessite de mobiliser dès maintenant nos énergies, dans tous les secteurs possibles et imaginables, car les imbrications et les liens d’interdépendance sont multiples.

      Donc s’il vous plaît, si vous n’avez ni le courage ni la capacité intellectuelle pour comprendre l’urgence d’un changement de mode de vie, ne répandez pas le poison du cynisme alors que des millions de personnes luttent, voire meurent en luttant, pour changer les choses.

      (1) Je sais que ce mot est de plus en plus mal vu et/ou utilisé par les puissances financières, mais faisons en sorte de se le réapproprier.

    • 5 septembre 2013, 21:39, par jiB)-

      Bon, ok, la transition énergétique ne se fait pas en un jour, mais lis les rapports de greenpeace (pas toujours brillants, ces lobbyistes mais quand même un peu informés) ou surtout de négawatt et tu verras qu’il est possible d’oublier les énergies fossiles (y compris l’uranium) à l’horizon des 20 ans. Sous réserve de ne pas être favorable à la décroissance car va falloir investir (pas beaucoup plus qu’à ce jour dans des conneries comme l’EPR ou le charbon Eon mais plutôt dans l’isolation comme le chanvre...)

      Allez, sois pas fâché, mais ton discours n’est plus de mise si on veut sauver la planète Tcho

  • 4 septembre 2013, 22:05, par prozaic

    l’assolement arboricole semble au point ; mais le renouvellement des surfaces boisées jusqu’ou et avec quoi , quel intrant ? d’où le problème se double des bassins de captage et de la possibilité pour l’arbre de recycler des déchets non conformes à l’agro alimentaire

  • 6 septembre 2013, 17:40, par Claude

    Je pense que EON n’a pas la main mise sur les 150 employés cgt de la centrale de gardante (sur 165) pour ton problème écologique je compatis avec toi mais pour la lutte de l’emploi dans notre entreprise tu es loin de la réalité si tu t’intéresses à la vie sociale de notre région je suis loin d’être un écologique mais il faut protéger la forêt. Peut être que vous avez agi un peu tard quand EON à commence à s’implanter en France adieu les châtaignes et les fromages de chèvre et vive l’Europe et les pingouins qui se gavent. Et aucun gouvernement quel qu’il soit ne te défendra ils sont corrompus par l’argent. Claude

  • 8 décembre 2013, 11:21, par La Mine de Sel

    Bien entendu le projet d’utiliser le bois des Cévennes, comme celui des quelques massifs forestiers méridionaux, est un non-sens écologique et énergétique, puisque la combustion du bois pollue autant, quoique différemment, que celle des autres combustibles. Il faut également savoir qu’en Allemagne, où on manque de bois, les forestiers utilisent aussi les souches et les racines des arbres (L’hebdomadaire Der Spiegel a publié un article à ce sujet il y a environ deux ans), ce qui d’une part bouleverse profondément la structure des sols et entraine leur ravinement, et d’autre part les prive d’un important élément organique, ce qui conduit à une minéralisation et à un appauvrissement définitifs. Qu’entend-on au juste par "déchets forestiers" ? Les systèmes raciniens en font-ils partie ? Dans des régions chaudes et soumises à des pluies violentes comme le sont les nôtres, surtout les Cévennes, cela aboutirait à des catastrophes écologiques irréparables. Un exemple peut être trouvé en Italie du sud (Basilicate notamment) où du temps de Mussolini on a déboisé en masse pour atteindre les objectifs de la "Bataille du Blé", le résultat est visible aujourd’hui : le sol organique a disparu et en surface ne subsiste plus que la couche d’argile stérile, entaillée de profondes ravines : les "Calanche". Beau projet en vérité.

  • 14 février 2014, 14:44, par cevenou

    Merci pour ces commentaires intéressant. Je pense que la restauration de la châtaigneraie ne peut être faite que par des acteurs locaux, car après la coupe (qui déja doit être propre pour permettre une bonne implantation des rejets) il y a un travail d’entretien sur plusieurs années. Et ça c’est pas avec des camions et des pelleteuses que ça peut se faire mais obligatoirement à la main. Un arbre est un être vivant qu’il faut comprendre. Autant pour la sylviculture que pour la castaneiculture il y a une certaine notion de propreté dans le travail. De plus la châtaigneraie cevennole souffre déja des maladies de l’encre et du chancre, à mon avis des coupes à blanc à grande échelle ne peuvent qu’augmenter ces risques hygiéniques.

    Une fois de plus c’est le pin maritime qui risque de prendre la place du châtaigner sur nos massifs.

  • 1er décembre 2014, 16:34, par jan1 ou biojm2

    Dans son numéro du 12 aout 2014, les DNA faisaient un article relatant l’impossibilité de la filière bois du massif vosgien de produire suffisamment de bois pour fournir l’industrie régionale. Depuis l’arrivée des chaufferie appelée pudiquement "biomasse" on coupe le bois a grande échelle puisque beaucoup de chaufferie consomment 50 tonnes de bois à l’heure pendant 11 mois par an...faite le compte. Pendant que nous demandons au Brésil de protéger l’Amazonie, nous détruisons la foret française et quand cela nous arrangera de bruler le bois brésilien, nous regarderons pudiquement ailleurs. Pendant ce temps les bobos investissent leur argent dans "l’énergie verte" en se gaussant de faire des "investissements responsables". Malheureusement je n’ai pas trouvé comment vous envoyer des photos pour l’article des DNA et de "biomasse". Pour les photos si elles vous intéressent, vous pouvez (CQFD) me donner un email.

Paru dans CQFD n°113 (juillet 2013)
Dans la rubrique Le dossier

Par Jorge Alonso
Illustré par Nardo

Mis en ligne le 03.09.2013