Marseille — La Plaine

Carnaval de quartier(s)

Nos archives : Avril 2016
La jeune tradition du carnaval de La Plaine, à Marseille, gagne en vivacité. Voilà trois quartiers impliqués dans son déroulement, toujours aussi indépendant. Une fois encore, c’est la sinistre reconquête urbaine qui a été mise au pilori, puis au feu.

Après sa répression en 2014, Carnaval a connu un regain de créativité, fédérant autour de son « jour des fous » et de sa fourmillante préparation les énergies croisées d’au moins trois quartiers : La Plaine (depuis dix-sept ans), Noailles (depuis une dizaine d’années) et les Réformés (depuis 2015). Voilà deux ans que le Caramentran, char principal symbolisant l’hiver et tous les pépins que la population locale a pu endurer, se voit accompagné par d’autres équipages, promis comme lui aux flammes à l’issue d’un grand-guignolesque procès en place publique.

Ce dimanche 13 mars, entre autres constructions, un monstre marin – dont la carcasse avait été soudée par des soudeurs soudanais virtuoses – figurait l’odyssée des réfugiés-migrants-clandestins : un frêle esquif chargé de têtes brunes voguait sur la croupe de l’orque. La symbolique était fraîche, directe, puissante. La présence des migrants, et celle des enfants des trois quartiers ayant participé aux ateliers de fabrication de masques, réclamait une bienveillante sagesse de la part des carnavaliers, pour éviter toute charge policière. Il s’agissait de dériver, délirer et se délivrer du mal tout en protégeant les plus fragiles d’entre la foule. Ce qui n’a pas empêché la BAC de trouver un prétexte – une caméra de vidéo-surveillance badigeonnée – pour gazer une partie du cortège, sans se soucier des minots ou des quelques personnes âgées présentes. Plus de pleurs que de mal, le carnaval a pu malgré tout arriver à bon port.

Car ce charivari n’est pas une manif déguisée, mais la convocation d’un esprit frondeur qui veut « faire quartier ». Cette année, l’hiver avait charrié son lot de mauvaises nouvelles, avec le projet municipal de restructuration de la place Jean-Jaurès1 menaçant le marché, les commerces de proximité et la vie nocturne de La Plaine, sous prétexte de « montée en gamme » et d’attractivité touristique ; ainsi que celui d’un hôtel 4 étoiles sur l’îlot des Feuillants, qu’on imagine mal cohabiter pacifiquement avec le bazar populeux des Capucins… Le Caramentran (une bétonnière chevauchée par un hideux vautour) représentait ces dangers-là. Plus nombreux que jamais – pas loin de 2 000 déguisés, selon notre service des statistiques –, les carnavaliers condamnèrent unanimement les appétits du BTP à périr sur le bûcher des vanités. La célébration fut belle, le feu enivrant et les farandoles chavirantes, au son des fanfares, batucadas, tambourinaïres et autres chorales. Rien n’est plus enthousiasmant que s’amuser librement dans l’espace public, surtout en ces temps d’état d’urgence et de gouvernement par la peur. La mairie ne s’y est pas trompée. Sans doute pour se venger de cette vraie fête populaire célébrée sans elle, elle a ordonné, cinq jours plus tard, le démantèlement de deux tables de pique-nique construites fin 2015 sur la place Jean-Jaurès pour compenser l’absence de lieux de rencontres. Il aura fallu 70 flics municipaux armés jusqu’aux dents – certains brandissaient des Flash-Balls et même un taser ! –, et moult gaz lacrymogène, pour venir à bout des habitants qui s’accrochaient à leur mobilier urbain afin d’empêcher sa destruction. La disproportion grotesque de la force employée par les sergents de ville prouve qu’ici, si quelqu’un perd son sang-froid, c’est bien l’hurluberlu de la mairie.

Mise à jour : Février 2016

Depuis, les Tables de la Plaine ont été reconstruites. Encore plus belles, plus grandes, plus solides... Les réunions, apéros, pique-niques, fiestas ou petits temps pris pour soi et ses proches sont revenus comme autant de pied-de-nez à une Mairie et sa police qui n’ont pas osé (pour le moment) y retoucher. Mais... Mefi !

Pour 2016, le Carnaval Indépendant de La Plaine, Noailles, Les Réformés... remet le couvert ! On se retrouvera déguisé le dimanche 12 mars vers les 15h sur la place Jean Jaurès.

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