Depuis le début de la crise, en 2019, les actions contre les banques se sont multipliées. Mais le braquage de Sali Hafez, filmé et diffusé en direct, fait le tour des réseaux sociaux – et des émules. Dans les jours qui suivent, une quinzaine de braquages similaires ont lieu à Beyrouth, dont cinq pour la seule journée du vendredi 16 septembre. Craignant de faire exploser le pays, les autorités et les banques décident de ne pas en poursuivre les auteurs.
[|Pauvreté organisée|]
Depuis trois ans, pour éviter la banqueroute, les banques limitent les retraits à environ 200 dollars par mois pour les particuliers : à peine de quoi survivre. Arnaque supplémentaire : ces fonds, souvent déposés en dollars, ne peuvent être retirés qu’en livres libanaises (LL), au taux officiel d’environ 1 500 LL pour un dollar. Or, au marché noir, la monnaie nationale perd chaque jour un peu plus de sa valeur : à l’heure où ces lignes sont écrites, elle s’est effondrée à 37 000 pour un dollar. Cette « lirification des dépôts » constitue le principal moyen pour les banques de se désendetter.
Résultat ? La pauvreté explose. D’après l’Administration centrale de la statistique libanaise, en 2020, 73 % des ménages vivaient sous le seuil de pauvreté, avec un revenu total par mois inférieur à 100 dollars [1]… « Je suis payé trois millions de livres par mois. Ça fait 80 dollars. Comment veux-tu vivre comme ça ? » confie Adir, militaire le jour et chauffeur de taxi la nuit.
[|Retour en arrière|]
Le Liban semble condamné à s’enfoncer chaque jour un peu plus dans la misère. L’épidémie de Covid-19, la double explosion du port de Beyrouth [2] et la guerre en Ukraine sont venues aggraver une situation économique déjà extrêmement précaire. « J’ai le sentiment qu’on est retournés dans les années 1990, juste après la guerre [3] : on n’a pas d’électricité, on a internet une fois sur deux, il y a des coupures d’eau tout le temps et en plus de ça, on n’a pas notre argent », soupire Cynthia, professeure d’architecture à l’université.
Le produit intérieur brut (PIB) du Liban a baissé de 58,1 % entre 2019 et 2021, « la plus forte contraction enregistrée dans les 193 pays du monde », selon la Banque mondiale. Début 2022, le taux d’inflation a franchi plusieurs fois la barre des 200 %, ce qui place le Liban au troisième rang mondial après le Venezuela et le Soudan. « On cherche des solutions nous-mêmes. Il n’y a pas d’électricité ? On installe un générateur. Le générateur est devenu trop cher ? On installe des panneaux solaires si on a les moyens. Il n’y a pas d’eau ? On installe des citernes. On n’a plus de wifi ? On passe par nos portables. Mais dans tous les cas, on paye deux factures, pour tout : c’est le système do it yourself libanais », ironise Cynthia, avant de conclure : « On n’a pas d’État mais une mafia au pouvoir. »
[/Marius Rivière/]