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Abolir la guillotine sèche


paru dans CQFD n°103 (septembre 2012), par Sébastien Navarro, illustré par
mis en ligne le 19/10/2012 - commentaires

Les prisonniers politiques euskariens ont eu du bol cet été : pour un temps, l’ombre de leur carcérale condition a été titillée par les projos des médias. Outre-Pyrénées, ils sont quatorze en fin de vie à moisir en zonzon tandis que dehors la traque des militants indépendantistes continue.

Jeudi 30 août 2012, José Luis Castro, juge de l’Audiencia Nacional, haute juridiction espagnole compétente en matière de terrorisme, accordait, dans sa grande mansuétude, un régime de semi-liberté à Iosu Uribetxeberria, militant de l’ETA condamné à 32 ans de taule en 1998 [1].

Les rognons rongés par un crabe en phase terminale, Iosu s’était lancé dans une grève de la faim, le 8 août, dernier pour exiger de pouvoir crever chez lui, avec les siens. Un combat qu’il n’a pas mené seul puisque la quasi-totalité des prisonniers basques de France et de Navarre ont refusé les gamelles de la pénitentiaire en solidarité avec les détenus qui, comme lui, voient leur pronostic vital engagé. Et, le 22 août, ils étaient plus de cinq cent cinquante (sur un total de sept cents) à avoir séché la cantine dans soixante-dix prisons. « Le mouvement de cet été a été très fort. Une solidarité exceptionnelle et ce d’autant plus qu’il faut une sacré énergie pour se lancer dans un grève de la faim quand on sait les conditions de détention des prisonniers basques », précise Saroia Galarraga, membre de Herrira, organisation de soutien aux détenus de l’ETA créée en février 2012. Ancré dans l’ADN d’Herrira, il y a bien sûr la lutte pour l’amnistie. Mais, en attendant de tutoyer cet horizon lointain, le collectif par Rémi {JPEG}porte les revendications des taulards euskariens concernant leur quotidien. Emilie Martin, autre membre d’Herrira, rappelle certaines d’entre elles : « Nous exigeons la libération des prisonniers gravement malades et conditionnables ; la fin des longues peines avec l’abolition, en Espagne, de la doctrine Parot, sorte de loi d’exception susceptible de prolonger la détention des prisonniers en fin de peine à des emprisonnements sans fin. On a vu des peines atteindre 30 ou 40 ans ! » Le 10 juillet 2012, la Cour européenne des droits de l’Homme condamnait pour la première fois l’Espagne à dédommager la prisonnière Inés del Río Prada condamnée à… trois mille ans de prison !

Autre axe sur lequel lutte Herrira : le regroupement des prisonniers dans le Pays basque. « Actuellement ils sont éclatés sur tout le territoire, poursuit Émilie. En France, cent-quarante prisonniers sont dispersés dans trente-deux prisons, certains complètement isolés alors que les prisonniers demandent à être au moins deux par prison. Regarde le cas de Naïa Lacroix. Elle a d’abord été incarcérée à Fresnes avant d’être transférée à Gradignan près de Bordeaux. Là, elle a entamé une grève de la faim pour exiger d’être regroupée avec d’autres prisonnières basques. La seule solution trouvée par la pénitentiaire a été de la transférer à Châlons-en-Champagne, à neuf-cents kilomètres de sa famille ! » Les militants d’Herrira ont fait le calcul : les familles font en moyenne mille kilomètres pour les visites.

Plutôt que de se fondre dans une lutte anticarcérale plus large, les taulards basques se sont organisés au sein d’un collectif de prisonniers (EPPK [2]) militant avant tout pour une reconnaissance du statut politique et une amnistie générale. Scénario totalement impensable pour Madrid qui n’accepte de négocier avec des « terroristes » que pour mieux asseoir sa répression. Pourtant, le 20 octobre 2011, ETA annonçait « l’arrêt définitif de son activité armée ». Cette décision faisait suite à une Conférence internationale pour la paix dans laquelle s’étaient distinguées des têtes d’affiches du calibre de Kofi Annan (ancien secrétaire général de l’ONU) et Gerry Adams (président du Sinn Fein). Bref tout semblait bien engagé, n’était l’acharnement de grandes puissances comme la France et l’Espagne à maintenir en vie le spectre bien utile du terrorisme basque. Émilie : « Depuis un an, l’État français a été très répressif à l’encontre des réfugiés politiques et des militants [3]. Les dernières arrestations ont fait suite à un mandat d’arrêt européen (MAE) émis par l’Espagne et concernaient deux militants de Segi [4], une organisation de la jeunesse indépendantiste, illégale en Espagne mais légale en France. » Le MAE fonctionne comme un accélérateur et un simplificateur d’extradition au sein de l’Union européenne.

Entre proclamation de droits fondamentaux suivis d’effets et renforcement tout azimut de la machine à réprimer, ainsi coule le long fleuve tranquille de la construction européenne. Pour le plus grand bonheur des embastillés et pas seulement basques…


Notes


[1Décision rendue incertaine par l’appel du procureur de l’Audiencia Nacional le 5 septembre 2012.

[2Soit Euskal preso politikoen kolektiboa.

[3On comptabilise 17 arrestations sur le sol français depuis la fin des violences décrétée par ETA.

[4Qui s’est auto-dissoute à la fin du mois de juin dernier.



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Par Sébastien Navarro


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