« Tu seras pour moi unique au monde »

À la rencontre de Fifine la renarde

Dans son ouvrage Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes, le photographe animalier Bruno-Gilles Liebgott raconte son incroyable amitié avec une renarde des forêts lorraines. Et questionne nos rapports à l’autre et au vivant.
Un homme tend la main vers une petite renarde sauvage qui vient lui dire bonjour.
Photographie Bruno-Gilles Liebgott

« Les deux renardeaux pénètrent dans leur écrin embaumé. Emportés par leur insouciance, ils mettent un terme à leur dispute. La petite femelle a entendu le déclencheur de l’appareil photo, malgré sa position en mode quiet (silencieux) et la housse anti-bruit. Le jeune mâle se fige. La petite femelle gagne du terrain. Je me cristallise. Elle s’aventure toujours. De près, de plus en plus près. » On est le 10 juillet 2018. Caché dans une haie, Bruno-Gilles Liebgott espère pouvoir observer la période d’amours des chevreuils. Il ne sait pas encore que cet instant marque le début d’une amitié incroyable qu’il va construire avec celle qu’il va nommer Fifine, une renarde installée sur les hauteurs de Pont-à-Mousson, en Lorraine.

Une relation qui dure toujours en 2024 et que le naturaliste raconte poétiquement dans Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes (Paroles de Lorrains, avril 2024). « En 1980, à l’âge de 13 ans, on m’offre Le Petit Prince. J’ai été bouleversé par le passage sur le renard. Si bien que construire une telle amitié est devenu un rêve d’enfant. Tout au long de ma vie, mes proches m’ont répété : “Mais arrête, tu n’y arriveras jamais.” J’ai été tenace. J’y ai cru malgré tout. Et sans que je le provoque, ça s’est réalisé. Quand on s’est regardé pour la première fois dans le blanc des yeux, je n’y ai vu aucune malveillance. Ça m’a fait un bien fou. » Durant 35 jours, la même scène se répète. « Et puis elle s’est assise à quelques mètres de moi. J’ai enlevé ma cagoule et mes gants. Elle les a reniflés. Ça a été le déclic. » Depuis, Bruno-Gilles Liebgott se retrouve pour des moments intenses de complicité sans paroles avec Fifine, «  magiques  ».

Il évoque cette nature oubliée, cette connexion pure avec le vivant, relié à un tout. « Cette renarde a bouleversé ma vie, oui. » Et celle des chasseurs du coin aussi. « J’ai dû assurer une bonne entente avec eux, pour qu’ils ne tirent pas dans cette zone géographique. Ils se sont alors rendu compte qu’il n’y avait plus de prolifération de rats taupiers, dont se régalent les renards. Les agriculteurs voisins en ont alors été très heureux, eux qui se font ravager leurs récoltes chaque année par ces rongeurs, là où les renards sont tués. » La question de savoir qui est donc le nuisible se pose. « De toute façon, dès l’instant où l’homme intervient quelque part, il crée un déséquilibre, car il ne sait pas (plus) faire. C’est le seul perturbateur des équilibres de la nature. »

Cette histoire et ces réflexions nourrissent ce qui est le 100e livre publié par Paroles de Lorrains, une petite maison d’édition associative installée à Longwy. Lancée en 2006 ; elle s’est fait une spécialité des ouvrages sur les luttes ouvrières et sociales de ce Pays Haut chargé d’histoire, sans jamais oublier son idée de départ : « Donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais eue ou à qui on l’a refusée », comme le rappelle Guy-Joseph Feller, l’un de ses cofondateurs. La preuve : ils viennent de donner la parole à une renarde au travers de son ami l’homme.

Par Sébastien Bonetti
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CQFD n°229 (avril 2024)

Dans ce numéro 229, c’est le retour de notre formule trimestrielle de 32 pages ! Un dossier spécial détachable sur l’Inde « Mousson brune : fascisme et résistances en Inde » nous emmène voir le pays le plus peuplé du monde autrement, auprès d’une société indienne qui tente de s’opposer à Narendra Modi et son suprémacisme hindou. Hors-dossier, des destinations plus improbables encore : CQFD s’invite dans les forêts du Limousin, à Montpellier observer la sécurité sociale alimentaire, et même dans la tête d’un flic. On y cause aussi droit international avec l’état d’Israël en ligne de mire, on y croise une renarde comme dans le petit prince, et on écoute les albums de Ben PLG et le pépiement des oiseaux printaniers.

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