C’est mercredi soir, et comme tous les mercredis soir depuis plus d’un an, le Collectif Non à Hinterland [1] se réunit dans une salle municipale de Poussan. Dix-neuf personnes, un prof à la retraite, un conchyliculteur, un ex-politicien, des paysans, etc. – et un chien – viennent du village et des alentours… Après quelques propositions d’échanges – « Qui veut des pots à confiture ? » « Qui veut des abricots ? » – l’ordre du jour est annoncé. Un programme chargé, comme chaque semaine : fauchage d’un champ de sorgho semé par le collectif pour démontrer la fertilité des sols, préparation d’une marche de paysans sans terres, position à adopter face aux politiques, face aussi à cette nouvelle problématique du tracé d’une ligne à grande vitesse (LGV) au beau milieu des vignes… Une personne se désigne pour donner la parole… et c’est parti !
La raison de ces rencontres est claire : la défense de cent cinq hectares de terres, agricoles ou non, certaines classées en AOC, sur la commune de Poussan. L’histoire démarre ainsi : sans informer les populations concernées, la région, avec la complicité de la municipalité, a obtenu du préfet la création en 2010 d’une Zone d’aménagement différé (ZAD) pour l’installation d’une base logistique arrière du port de Sète, projet aujourd’hui intégré dans le schéma de cohérence territoriale (Scot) du bassin de Thau. Face à ces démarches d’acquisition foncière, des propriétaires et des citoyens se sont légitimement inquiétés de savoir ce qui se tramait, mais se sont immédiatement heurtés à des refus, des dénis et même… des gendarmes !
Après plusieurs sollicitations des autorités municipales ou régionales pour organiser un débat public – en vain –, le collectif s’est constitué et a mené sa propre enquête, dont les démarches et résultats sont dévoilés dans un surprenant rapport de plus de soixante pages : Autopsie d’une illusion. Le projet de zone arrière, ou Hinterland, (c’est-à-dire le stockage de milliers de conteneurs) se justifierait par le développement exponentiel du port de Sète. Au passage, la région, propriétaire depuis 2007 du port, prend bien soin de parer son plan d’aménagement de tout le « développement durable » nécessaire. On imagine donc des conteneurs arrivant par la mer, qui, plutôt que d’être stockés dans l’enceinte portuaire et acheminés ensuite par voie fluviale (canal du Rhône à Sète en pleine modernisation), maritime ou ferroviaire, partiraient en camion jusqu’à l’Hinterland. « Moi, c’est ça, surtout, le “tout camion”, qui m’a amené à venir rencontrer les gens de Poussan… C’est quand même aberrant », commente une Sétoise membre du collectif.
Le rapport enfonce le clou en démontrant que ce projet est basé sur des perspectives de croissance du port de Sète franchement délirantes. En effet, selon des diagrammes reconstitués à partir d’informations disparates [2], le trafic maritime devrait augmenter de plus de 10 % par an, celui des conteneurs de plus de 100 % ces huit prochaines années. Soit une activité supérieure à celles de Marseille et Barcelone réunies ! Même folie des grandeurs pour les créations d’emploi envisagées : « Ils nous tiennent avec ces promesses de boulot, alors que ce serait surtout de l’interim. Et les chiffres avancés sont extravagants. » Mais l’argument fait mouche dans ces petites localités, comme en témoignent les propos échangés par un membre du collectif avec un homme se disant sympathisant mais qui ne souhaite pas participer aux actions car « le maire a promis de trouver un emploi à [son] fils ».
Reste à évoquer les conséquences écologiques d’une telle réalisation : « On ne sait pas ce qu’il y aura dans ces conteneurs. Ils peuvent se renverser, ils sont eux-mêmes traités. Cette zone est à neuf cents mètres de l’étang, tout près aussi de la Veyne [principal cours d’eau se jetant dans l’étang de Thau]… On ne peut pas risquer le moindre impact sur l’écosystème fragile du bassin de Thau », commente un conchyliculteur. Face à ce non-sens, une explication s’impose : la promotion immobilière. Peu à peu, à Sète, les statuts des espaces dits portuaires sont modifiés et voués à la construction d’immeubles de standing. Or, comment faire cohabiter le développement du port et celui de l’immobilier ? En délocalisant les nuisances à Poussan, pardi !
Le collectif ne baisse pas la garde pour autant, entre nouvelles demandes de réunions publiques avec les responsables et espoir d’une prise de conscience des trois nouveaux élus socialistes. Il y a aussi de possibles alliances avec d’autres mouvements, comme celui qui s’oppose à la Ligne de train à grande vitesse : « On défend des terres agricoles, on s’oppose à un projet, Hinterland, mais ils vont nous faire autant de mal avec un TGV. Cette lutte rentre dans la nôtre, donc en avant ! » La prochaine réunion se tiendra mercredi soir…