Histoires brèves

Brèves d’histoire

BD/ “La balade nationale”

Les mythes ont la vie dure. Vous n’enlèverez pas de la tête d’un Français que ses ancêtres sont gaulois, qu’il est le rejeton de Jeanne d’Arc ou qu’il cause comme Molière. Sans nous assommer de révélations qui pourraient nous rebuter, La Balade nationale – Les origines, premier volume d’une histoire dessinée de la France en vingt tomes, promène quelques voyageurs spatio-temporels d’une plage de Bretagne jusqu’à Gergovie. C’est Davodeau qui est aux pinceaux et il dessine Jeanne d’Arc, égérie de Michelet, comme on l’a imaginée depuis des siècles puisque personne n’a fait son portrait de son vivant supposé. À Gergovie, Vercingétorix dont on connaît encore moins le visage, sauf par sa réincarnation en José Bové, vient préciser son désintérêt pour la France. C’est en fait au Second Empire qu’il a été décidé de situer les racines nationales à l’époque des Gaules.

L’originalité du récit réside dans ce bus Renault neuf places où prennent place Marie Curie, Jeanne d’Arc, Jules Michelet, Molière, le général Dumas et Pétain (autrement que gueulant des conneries depuis son cercueil). Le voyage va de Carnac à Calais, Paris, Reims… pour finir à Gergovie. À Reims, Jules Michelet raconte à Jeanne que les Francs ne sont que 2 % des habitants de la Gaule au moment du sacre de Clovis. Ce solide équipage s’attache par des choix cornéliens à montrer l’envers de l’Histoire et sa réinterprétation. Gare aux raccourcis.

L’intrigue est ponctuée par l’arrivée dans le véhicule d’un Syrien qui cherche à rejoindre Calais et d’un soldat inconnu qui, entendant Pétain, sort de sa tombe sous l’Arc de triomphe et braque une moto pour rejoindre le convoi.

Comme le dit le Michelet-Venayre devant la statue des bourgeois de Calais : « Si on veut comprendre l’histoire de France, il faut d’abord savoir ce qui se cache derrière des images comme celle-ci. » Quant à l’huile de la Sainte Ampoule qui a permis de sacrer les rois depuis Clovis, on dit que le peuple l’a bue jusqu’à la lie à la Révolution française, mais ça c’est encore une légende.

Par Christophe Goby

Sylvain Venayre, étienne Davodeau, La Balade nationale, Tome 1, Les origines. La Revue Dessinée/La Découverte, 2017.

Gavoche nous manque

Dans les années 1960, pour le grand public, l’Histoire est dominée par l’apologie des « grands hommes » et par un récit national archi-consensuel, voire réactionnaire. Mais après Mai-68, de jeunes « gauchistes » remettent ces deux traits dominants en cause. Après l’échec de la plus grande grève générale sauvage de l’histoire, ils cherchent notamment à comprendre les raisons de la « trahison » du PCF durant les événements de mai-juin. Et ils souhaitent mettre à jour des traditions et événements révolutionnaires oubliés. L’une de ces publications tentant de promouvoir une histoire vue d’en bas à destination du plus grand nombre se distingue particulièrement : Le Peuple français (1971-1980), revue trimestrielle sans subventions ni publicité, indépendante des partis politiques et des syndicats. C’est ce projet que Gavroche, sous-titré Revue d’histoire populaire, va prolonger contre vents et marées de décembre 1981 à avril 2011 – d’abord sous forme bimestrielle, puis trimestrielle à partir de 2006.

À la suite de désaccords internes qui voient le départ de deux des fondateurs en 1988, la revue accueille des collaborations extérieures fidèles à son esprit et à son projet. Elle conserve également son indépendance tout en se tenant à distance des stratégies de carrière et de pouvoir du monde académique. Ces deux raisons expliquent probablement son exceptionnelle longévité. Diffusée à un petit millier d’abonnés, dont nombre de bibliothèques municipales ou de comités d’entreprise, la revue est un refuge de passionnés, amateurs ou enseignants, la plupart en marge. Elle constitue durant trois décennies un foyer vivant au service de l’histoire des exploités et des dominés, couvrant un large spectre chronologique, de l’Antiquité à nos jours. Mais avec une préférence pour la période allant de la Révolution française de 1789 aux années 1960, en insistant particulièrement sur la Commune de Paris, l’histoire du mouvement ouvrier, les tentatives révolutionnaires du XXe siècle et les deux guerres mondiales. Il suffit de s’attarder sur le contenu du dernier numéro, en date d’avril 2011, pour voir se profiler la ligne éditoriale de cette œuvre collective. Au sommaire, un aspect négligé de la résistance des jeunes au nazisme en Allemagne ; Jack London comme militant socialiste ; un martyr anarchiste oublié, Antoine Cyvoct ; un épisode méconnu de la vie de journaliste d’Alexandre Dumas en 1848 ; Félix Juven, un patron de la presse satirique de la Belle Époque ; ou encore, les enragés de la Révolution française.

Malgré son amélioration formelle (maquette, illustrations couleur), la revue, portée à bout de bras par un nombre réduit de personnes, finira par épuiser ses « cuisiniers ». Il en aurait peut-être été autrement si elle avait déniché un éditeur indépendant, qui aurait pu l’aider dans sa diffusion et dans ses tâches matérielles récurrentes. Alors que le « présent perpétuel » des sociétés marchandes domine sans partage et que le défaut de connaissance historique prévaut chez ceux qui prétendent encore changer le monde en ignorant les leçons du passé, c’est peu dire que Gavroche manque à ses lecteurs comme à tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont apporté leur pierre à l’édifice de cette belle aventure…

Par Charles Jacquier

L’ensemble des numéros du Peuple français et de Gavroche sont consultables en ligne sur le site Fragments d’Histoire de la gauche radicale.

L’histoire-business du Puy du Fou

« Imaginé en 1977 par Philippe de Villiers, alors jeune énarque et fils du vice-président du conseil général de Vendée, le dispositif [du Puy du Fou] est à la base une sorte d’écomusée doublé d’un grand spectacle (la cinéscénie) retraçant l’histoire de la Vendée à travers celle d’une famille, les Maupillier. Comme chez Bainville, l’histoire est cyclique et montre une Vendée toujours renaissante, jamais vaincue. En jouant sur la fierté des habitants d’une région rurale laissée souvent en marge du développement économique, en leur permettant de s’investir dans ce qu’ils considèrent être leur histoire (même si en fin de compte, le créateur du Puy garde la main sur le scénario), Philippe de Villiers arrive à développer un spectacle à succès dont le but est avant tout de maintenir une identité vendéenne forte centrée sur le souvenir de la guerre civile de 1793, la détestation du “centralisme jacobin” et évidemment de la Révolution.

Mais l’aspect le plus novateur du Puy du Fou ne se situe pas là. En effet, à côté de la cinéscénie s’est développé petit à petit un vaste parc d’attractions historiques où l’épopée vendéenne ne joue en fin de compte qu’un rôle mineur. Il s’agit d’attirer le plus de public possible et d’assurer le succès du dispositif en jouant sur une version spectaculaire de l’histoire (en construisant de toutes pièces, pour les besoins de la cause, un amphithéâtre romain) tout en proposant à de grands noms de la scène de participer (Jean Piat ou, plus récemment, Lorànt Deutsch). Avec le Puy du Fou, l’histoire s’est faite entreprise locale puis nationale dont le succès (80 000 spectateurs la première année, aujourd’hui près de 1,5 million) a assuré à Philippe de Villiers une place pivot dans le paysage politique vendéen, cumulant les casquettes de défenseur de l’identité locale, d’entrepreneur en phase avec la mondialisation et de créateur d’emplois (même si la majorité des acteurs de la cinéscénie restent bénévoles, ce qui permet, en jouant sur la passion des participants, de réduire les coûts). »

William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, Les historiens de garde : De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson : la résurgence du roman national, Libertalia, 2016.

Par Rémy Cattelain.

Au carrefour des luttes

Dans son essai Le Ressentiment dans l’histoire (Odile Jacob, 2007), Marc Ferro évoque la lettre d’une jeune Tatare de Russie, prise dans le tourbillon de la Révolution de 1917, qui « s’interrogeait sur la priorité des luttes à mener : tatare contre Russes ? ou Islam contre Église orthodoxe ? ou, encore, ouvrière contre la bourgeoisie ? femme contre l’autorité des imams ? » Déjà les dilemmes de l’« intersectionnalité » avant l’heure…

Leurs ancêtres les Gaulois

Comment les élèves kanaks, les petits Polynésiens, les écoliers amérindiens de Guyane ou les petits Mahorais apprennent-ils l’histoire à l’école de la République ? «  L’école est totalement inadaptée. […] C’est ce que j’appelle le néo-colonialisme à la française, moderne, sans doute moins brutal qu’avant. Les violences sont surtout symboliques mais tout aussi efficaces », déclarait Didier Maurelle, ancien instituteur en Guyane sur France Inter, dans l’émission « Voyage en Outre-mer », le 23 juillet 2017.

Depuis peu, la Nouvelle-Calédonie a su néanmoins adapter un enseignement en histoire-géographie respectueux de l’environnement et des cultures autochtones. Même si la France a adopté la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations-unies en 2007 selon laquelle « tout enfant autochtone est en droit de recevoir un enseignement dans sa langue », le chemin d’une école décolonisée n’est pas encore sorti des ronces.

L’histoire au tribunal

Les historiens Armelle Mabon et Julien Fargettas se déchirent depuis 2014 sur le bilan du massacre de Thiaroye au Sénégal en 1944, où des tirailleurs africains sans solde en attente de leur démobilisation s’étaient révoltés et avaient été massacrés par l’armée française. Au cœur de la querelle, 35 ou 300 morts ? « On a échangé pendant des années sur le sujet, chacun enrichissant la connaissance de l’autre », déclarait Fargettas… Jusqu’à ce que sa collègue l’attaque « pour diffamation », pour avoir violemment mis en cause la méthodologie de celle-ci. Armelle Mabon, qui défend le bilan des pertes humaines le plus haut, sera finalement déboutée de sa plainte en mars 2017 avant de se retourner récemment contre son employeur, l’Université de Bretagne sud, pour son manque de soutien. Deux chercheurs qui s’écharpent devant les juges, plutôt que dans les revues académiques, ça peut surprendre. Mais comment les champs du savoir pourraient-il échapper à l’inflation judiciaire qui touche tous les secteurs de la société ? O tempora…

Comparaison n’est point raison

Le vendredi 20 octobre 2017, en promotion pour son dernier livre sur les populismes, l’historien Pascal Ory offrait une comparaison à rebours : « Mussolini, c’était le Mélenchon de 1914 en Italie. C’était le leader de l’aile la plus à gauche du socialisme. Mais en 1919, quand il crée les Faisceaux de combat, il est clairement à l’extrême droite, il sert de nervi à un capitalisme aux abois. » Le compagno Benito de 1914 n’est certes pas encore le Duce du fascisme, mais c’est le moment où il tourne clairement le dos à l’internationalisme socialiste. Quant au Lider maximo de la France insoumise, on peut trouver affligeant son social-chauvinisme affirmé, mais cela fait-il de lui un Mussolini ou un Doriot en devenir ?

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