Les brèves du n°145

Par Pirikk.

Leçons de violence

Le 15 mai, la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE) a appelé à une grève reconductible contre une réforme éducative qui ouvre un peu plus les vannes de la privatisation et du précariat. Face au refus du gouvernement de négocier, de nombreux blocages d’autoroutes ont lieu, durement réprimés. Un instituteur est mort dans l’état du Chiapas, deux au Guerrero. Deux dirigeants de la CNTE sont en prison, accusés de vol de livres scolaires et de détournement de fonds par un syndicat jaune. Une telle politisation de la justice n’a fait qu’aviver le conflit. Dans l’état de Oaxaca, où le souvenir de l’insurrection civile de 2006 – provoquée par la répression d’un blocage de la capitale par les instituteurs de la section 22 de la CNTE – est encore vif, le mouvement est activement soutenu par les élèves et leurs parents.

Dimanche 19 juin à Nochixtlán, pour débloquer l’autoroute à péage qui relie Oaxaca à Mexico, la police a ouvert le feu. On parle d’onze morts, de dizaines de blessés et de vingt et une arrestations. La population a rejoint les enseignants, obligeant les forces de l’ordre à battre en retraite, incendiant un poste de police et un hôtel depuis lequel des hommes armés avaient tiré sur la foule. Pendant ce temps, le président mexicain Enrique Peña Nieto salue depuis La Havane l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC : « En Amérique latine, il n’y a aujourd’hui plus de place pour la violence. » Par chance, un tel cynisme est inimaginable sous nos latitudes.

Vraiment ? Les amies du web-journal mexicain elbarrioantiguo.com, de passage à Marseille, nous mettaient récemment en garde : « On voit agir aujourd’hui en France les mêmes ingrédients, les mêmes forces obscures qui ont précédé la guerre de basse intensité déchaînée chez nous depuis dix ans. Un état d’exception devenu habituel, l’armée dans les rues, une accoutumance à l’impunité et à la corruption, un mépris ouvert de la volonté populaire, la casse des services publics, une surenchère répressive, l’implication de hauts flics dans des trafics de stups… » À méditer.

Bruno Le Dantec

Brexit la presse : Des journaux très anglés

On a la presse qu’on mérite. Jeudi 23 juin, jour de vote pour le référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, le tabloïd The Sun, en faveur du Brexit, s’offrait le gros titre d’une bouse hollywoodienne : « Independence Day ». Certainement rompu aux enfilades du publireportage, le journal qui compte parmi les plus lus du pays reprenait la typographie du film d’extraterrestres, dont la deuxième livraison préparait alors sa sortie en salles. On imagine facilement la jubilation de Rupert Murdoch, son propriétaire, quand une journée plus tard, le Brexit était annoncé gagnant avec 52% des voix.

Dans le sillage du Sun s’est dressée une meute de journaux passablement énervés, dont les tirages atteindraient 4,8 millions de lecteurs quotidiens. Le Telegraph, tribune d’appoint de Boris Johnson, le tabloïd Daily Mail, le Daily Express (proche du UKIP), l’hebdomadaire conservateur The Spectator, etc. La plupart d’entre eux militent depuis des années contre « l’emprise européenne » et « les immigrés siphonnant les aides sociales ». Mais cette fois-ci, les campagnes sur le référendum ont atteint des niveaux de toxicité tels qu’ils n’ont pas eu tant besoin d’exagérer.

D’un côté, la monomanie économiste du camp « pro-européen », alimentée par un flot continu de rapports anxiogènes sur les périls d’un Brexit. De l’autre, le populisme droitier soufflant sur les braises d’une xénophobie « décomplexée ». Le scrutin du 23 juin a exacerbé les fractures du pays – entre générations et pays de la couronne –, au point que l’Écosse envisage déjà un second référendum pour quitter le royaume. Pour l’heure, la démission de David Cameron prévue pour l’automne pourrait donner le pouvoir à Boris Johnson, l’ancien maire de Londres versant dans les bouffonneries populistes.

Emmanuel Sanséau

Fessée chinoise

La croissance chinoise ralentit. Foxconn et consorts délocalisent leurs usines au Vietnam, au Bangladesh et aux Philippines, où la main-d’œuvre se contente encore de salaires de misère. Les grèves ont doublé entre 2014 et 2015. Du coup, le management se durcit dans l’empire du milieu. À la fin du mois de juin dernier, les images d’une humiliation publique ont fuité sur la page Facebook du Quotidien du peuple. On y voit des hommes et des femmes employés par une banque du nord du pays recevoir une magistrale correction sur leurs postérieurs au moyen d’une pagaie en bois. Certes, le formateur d’une boîte de consultants de Shanghai, à l’initiative de cette sanction pour absence de résultats, a été sommé de faire des excuses publiques, mais le message est passé.

Débandade sud-africaine

Certains dirigeants de l’ANC se sont appuyés sur l’aura de Mandela pour s’offrir une sinécure à vie à la tête du pays. Mais un chômage endémique et une sécheresse inédite déstabilisent la clique du président Jacob Zuma. Depuis la fronde étudiante contre la hausse des frais de scolarité de l’automne 2015, le mouvement social s’est poursuivi par flambées successives. L’approche des élections municipales du mois d’août est l’occasion d’une nouvelle vague de contestation, que la ministre de la Défense menace en ces termes : « Nous n’allons pas laisser des anarchistes, des hooligans et des gangsters transformer [la capitale] en zone d’anarchie. » Un aveu de faiblesse et d’incompréhension inimaginable sous des latitudes plus hexagonales.

String brésilien

Les scandales de corruption liée à la compagnie nationale d’hydrocarbures Petrobras n’en finissent pas d’éclabousser la classe politique brésilienne, de Dilma Roussef, la présidente en voie de destitution, à son successeur par intérim, Michel Temer. Pendant ce temps, le 17 juin dernier, l’État de Rio a décrété « l’état de calamité » non pas en raison du passage d’un cyclone ou d’un tremblement de terre, mais parce qu’il n’y a plus un sou dans les caisses pour financer les services publics, de la santé à la sécurité en passant par l’éducation et les transports. En réalité, il reste bien quelques piécettes, mais elles doivent être consacrées au financement des JO qui se dérouleront à partir du 5 août. Dieu, que le sport est joli !

Déculottée espagnole

Les législatives de décembre 2015 avaient sonné le glas du bipartisme et rendu impossible la formation d’un gouvernement. Les Espagnols ont donc été à nouveau convoqués aux urnes le 26 juin. Ils auraient mieux fait de rester couchés. La droite casse la baraque partout où elle trempe dans des affaires de corruption – c’est-à-dire presque partout. Le pari électoral de Podemos et ses alliés a fait flop, à part au Pays basque et en Catalogne, où il vire en tête devant les nationalistes. Ailleurs, son alliance avec l’équivalent du Front de gauche a perdu un million de votes et le PSOE reste la deuxième force politique du pays. Une coalition à l’allemande entre droite et socialistes menace. Des regrets ? Quand on voit ce que fait Syriza en Grèce, pas vraiment. Et le retour de celles et ceux qui avaient jeté leurs forces dans la bataille électorale à des activités plus saines comme les assemblées de quartier, la lutte syndicale, les occupations ou la résistance aux expulsions pourrait être la bonne nouvelle du jour.

Par Pirikk.
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