Violences policières : Un homme est mort

« Aujourd’hui on est restés tranquilles, par respect pour les proches d’Adama. Mais ça ne doit pas nous empêcher de dire que nous ne pourrons pas, nous ne devrons pas rester calmes bien longtemps !  »

Devant une ligne de CRS, l’orateur tente de se faire entendre à l’aide de deux petits mégaphones grésillant dans la chaleur de l’été parisien. Depuis deux heures maintenant, ce samedi 30 juillet 2016, près de deux mille personnes sont bloquées rue St-Quentin, en face de la gare du Nord. La manifestation est appelée par la famille d’Adama Traoré, mort entre les mains de la police quelques jours plus tôt. Au départ du cortège, des policiers se sont approchés des organisateurs, et leur ont glissé ce conseil  : prenez donc cette rue-ci, le parcours sera plus aisé. 50 mètres plus loin, trois lourds camions sérigraphiés se sont placés en travers de la route  : le piège s’est refermé. Quelqu’un a alors pris alors la parole  : «  C’est un malentendu, nous avons reçu l’autorisation de la préfecture. Restez calmes, on va repartir dans quelques minutes.  » La préfecture avait en fait interdit le trajet juste avant l’horaire du rendez-vous. Énième pied de nez de l’État qui semble tout se permettre face à une famille aussi endeuillée qu’en colère.

Mardi 19 juillet, en grande banlieue parisienne, des gendarmes recherchent puis interpellent Bagui Traoré avec son frère Adama dans la rue. Ce dernier s’enfuit avant d’être retrouvé non loin dans un appartement. «  Il a pris le poids de nos corps à tous les trois au moment de son interpellation  », racontent les gendarmes1. L’interpellé se plaint de difficultés respiratoires, est emmené à la brigade de gendarmerie où il arrive inconscient. Les gendarmes appellent le Samu. Adama Traoré est mort.

Le procureur de Pontoise, Yves Jannier, va être le premier acteur d’un sombre spectacle visant à masquer l’évidence  : une fois de plus, la police a tué un Noir, en France. Premier acte  : jeter l’opprobre sur la victime. Le procureur déclare à l’AFP qu’Adama Traoré était recherché dans une affaire d’extorsion de fonds. Son nom n’apparaît pourtant à aucun moment dans la procédure qui concerne son frère. Deuxième acte  : semer le doute sur son état de santé. Le surlendemain de la mort, Le Parisien et Libération titrent sur «  l’infection très grave  » dont la victime souffrait. Ils s’appuient sur les déclarations du procureur, qui prétend citer le rapport d’autopsie, alors que celui-ci ne mentionne pas d’infection mais une mort par asphyxie. Dernier acte  : faire mine de s’interroger face à une mort «  inexplicable  ». La technique d’interpellation utilisée dans le cas d’Adama Traoré (plaquage ventral) a déjà été mise en cause dans plusieurs cas de décès entre les mains de la police2. Ce qui n’empêche pas l’AFP, au cours de l’été, de publier des dépêches qui s’en tiennent au «  décès inexpliqué  » sans même faire mention de l’asphyxie. Le rôle du procureur ou du gendarme-menteur n’est pas nouveau. La consommation d’«  alcool et de haschich  » par Tina Sebaa en 20073  ? Faux. L’«  explosif maison  » dans le sac à dos de Rémi Fraisse en 20144  ? Faux. On pourrait multiplier les exemples et pourtant les journalistes semblent frappés d’amnésie. Inlassablement, ils relayent les déclarations des autorités sans jamais rappeler leurs mensonges passés.

«  Comment respecter des institutions qui nous méprisent tant, demandait l’orateur dans la nasse de la rue de St-Quentin. On peut faire des procès, tout tenter, mais on doit se souvenir qu’on ne doit rien à ces gens qui nous mentent, nous isolent, nous empêchent de nous exprimer. Et nous tuent.  »


1 Selon le « maréchal des logis-chef » (un gendarme gradé), dans le PV d’interpellation qu’il a rédigé, dont de larges extraits furent publiés dans la presse.

2 Lire les travaux de l’Association des Chrétiens pour l’abolition de la torture sur acatfrance.fr.

3 Le Monde, 13/02/2007, cité dans la Revue Z, n°8, éditions Agone, 2014.

4 Le Monde, 29/10/2014.

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