Le ministère de l’éducation a trouvé que les Zones d’éducation prioritaires dataient. Elles ont trente ans. On allait donc les rebaptiser REP comme les régiments étrangers parachutistes. Ici où là, certains établissements, pourtant remplis de Gavroches boursiers et de Cosettes en haillons, passeraient à la trappe suite à la réforme. Le lycée Victor-Hugo à Marseille, entre fac et gare St-Charles, risque de pâtir de cette déclassification alors qu’il reçoit, d’après Franck, professeur de mathématiques, tous les collèges qui eux restent en REP. Le lycée est à la frontière d’un des arrondissements les plus pauvres de France. « On va sortir de la ZEP alors que tous les collèges sont en REP. C’est pas anodin ce nouveau nom, réseau ça fait virtuel. » Pourtant les sauvageons en herbe, ça grouille dans le bahut. « Ce sont les meilleurs élèves des collèges qui arrivent. Quatre ou cinq par classe, les autres vont tous en lycée pro. On a de 70 à 80 % de boursiers ici : c’est pour ça qu’on met le paquet sur le nombre d’élèves par classe. » Pas toujours facile même avec des ressources humaines et financières supplémentaires.
« Des moyens pour la ZEP, ça sert à avoir plus de postes, pour gérer les absences et éviter le décrochage des plus fragiles », explique Gabrielle, pionne à Victor-Hugo. « Et en même temps, on en vient presque à être contents quand il y a des absents, tous les collègues sont épuisés, l’ambiance est dure », renchérit Franck. Le risque sans le label ZEP, c’est un recours massif aux exclusions donc une mise à l’écart des élèves les plus en difficulté. Des labels les plus farfelus sont découverts par les vaillants limiers du ministère : les établissements « éclairs » sont morts faute de jus, les projets « ambition réussite » viennent se fracasser sur la misère de Marseille et le lycée a même connu son « excellence » ! Quand les pouvoirs publics sont en plein désarroi, ils distribuent de symboliques breloques. Las, les labels passent, la ZEP reste.
Plus de mille élèves grouillent dans le ventre du poète. Loin d’être résignés à leur sort, ils sont descendus en manifestation à l’inspection académique en criant : « ZEP, Zéro pèze. » Ainsi, il vient une heure où protester ne suffit plus, après la philosophie il faut l’action. Le lycée ayant une tradition de lutte, une assemblée générale a décidé, le lundi 15 décembre, de dormir dans le gymnase. « En termes de symbole et de médiatisation, ça parle aux gens. ça motive les autres », raconte Gabrielle. A Clichy-la-Garenne, franchissant un pas supplémentaire, ils ont séquestré le principal.
A l’heure où blanchit la campagne, après une nuit d’occupation, les dormeurs ont offert un petit déjeuner aux élèves et enseignants venus au lycée. Gabrielle dresse un bilan à mi-parcours : « J’évite qu’ils se fassent écraser. Ils ont la parole, eux qui ne l’ont jamais, ça les rend hystériques et joyeux. Ils chantent, “Qu’est-ce qu’on veut ? La ZEP !”, en sautant dans tous les sens. »
Najat Vallaud Belkacem a repoussé d’un an l’application de sa réforme aux lycées, après avoir décidé de maintenir les primes aux enseignants durant trois ans. « Qu’un ministre socialiste puisse répondre ainsi par le petit bout de la lorgnette en espérant nous endormir avec de l’argent, quand on demande une vraie politique d’éducation prioritaire… il devrait se prendre un coup de râteau », s’emporte Franck même s’il sait que le gouvernement n’est pas plus socialiste que DSK n’est chaste.
Le 7 janvier 2015, le comité de lutte compte se rendre devant l’inspection académique de Marseille pour y jouer la classe, une comédie de la misère en milieu ZEP.