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22, v’la les archis !

« Vers une urbanité sécuritaire »


paru dans CQFD n°97 (février 2012), par Jean-Pierre Garnier, illustré par
mis en ligne le 11/04/2012 - commentaires

Jusqu’alors, seules certaines zones urbaines bien spécifiques – celles dites « sensibles » – étaient étudiées et aménagées pour « prévenir le crime ». Cela n’est plus suffisant. Pour les pouvoirs publics, et leurs sous-fifres architectes et urbanistes, l’insécurité ne se limite plus aux quartiers malfamés. Elle est imprévisible, peut toucher n’importe qui et, surtout, apparaître n’importe où. L’aménagement actuel des villes a donc pour mission de trier, filtrer, canaliser et séparer les publics, le tout en utilisant moult « ruses » afin de ne point inquiéter le citoyen consommateur. Jean-Pierre Garnier, sociologue et urbaniste [1], décrypte cette évolution à travers les travaux de l’archistar Jean Nouvel et les dires de l’idéologue de l’urbanisme sécuritaire Paul Landauer.

À l’heure où la nécessité de « défendre la ville » – en fait, l’ordre social capitaliste qui s’impose à celle-ci – contre un ennemi d’autant plus omniprésent qu’il est de moins en moins définissable se fait plus impérative que jamais [2], un nouveau « modèle » d’organisation et de fonctionnement de l’espace se met en place. À celui de la « ville-forteresse », décrit et dénoncé par le sociologue étasunien Mike Davis, interdisant la pénétration de certains lieux aux fauteurs de troubles réels ou potentiels, se superpose maintenant, en se combinant avec lui, celui de « la régulation des flux par la séparation des circulations selon les publics de façon à éliminer les risques de friction sociale et humaine [3]  ». La protection physique de certains espaces va de pair désormais avec la gestion des déplacements.

On est au-delà de la prévention situationnelle classique où il s’agissait d’« aménager les lieux pour prévenir le crime », de les (re)configurer pour influer sur les comportements (architecture dissuasive) à l’aide de toute une série de dispositifs matériels de protection : murs, barrières, clôtures, grilles, glacis, fossés, haies renforcées… auxquels s’ajoutent digicodes, caméras et vigiles. En éliminant également tous les éléments qui peuvent inciter les délinquants réels ou potentiels à se considérer sur leur terrain (impasses, recoins, tunnels, passerelles, coursives, halls traversants, toits-terrasses...). Le tout donne naissance à une ville bunkerisée, panoptique et paranoïaque, composée d’enclaves verrouillées repliées sur elles-mêmes, protégeant leurs habitants ou leurs usagers légitimes contre les individus indésirables. Cela demeure, mais n’est plus suffisant pour garantir la « paix civile ».

Il s’agit maintenant, en plus, de constituer un espace adaptable à toutes les situations, même celles sur lesquelles la société qui les engendre n’a plus de prise. Celle-ci, en effet, serait fluide, obligeant les citoyens à se mouvoir dans l’incertitude. Elle serait devenue « liquide » pour reprendre la métaphore du sociologue Zygmunt Bauman [4]. Et, « des incivilités au terrorisme, en passant par les agressions et les violences urbaines », note l’architecte Paul Landauer citant l’incontournable Alain Bauer [5], la délinquance est elle-même à l’image de la société : « de plus en plus mouvante et volatile [6]  ». L’heure est donc à anticiper l’imprévisible, à envisager l’improbable. Tout peut arriver partout et n’importe quand. On parlera à ce propos de la nécessité d’une « gouvernance de l’aléatoire ». « Face à une insécurité plurielle et mouvante, la sûreté ne peut être que globale et évolutive », affirment les auteurs d’un manuel destiné à aider les architectes, urbanistes et paysagistes à « s’emparer du champ de la sécurité [7]  ».

De fait, de même que l’insécurité ne serait plus comme jadis le fait exclusif des « classes dangereuses », elle ne serait plus le propre de lieux déterminés, de rues désertes et de quartiers mal famés, même si les zones de relégation, baptisées « sensibles », où est parquée une partie des classes populaires, figurent en bonne place parmi celles à « rénover » pour les « pacifier ». Aujourd’hui, les espaces urbains considérés comme les plus « à risques » sont aussi ceux qui sont les plus fréquentés par des gens de toutes sortes : infrastructures de transport, galeries commerciales, équipements de loisir, places de centre-ville… Dès lors, l’urbanisme sécuritaire classique ne suffit plus. Outre qu’elles se sont diversifiées, « les populations devant être contrôlées se manifestent tout à la fois de manière indistincte et mobile. » Ce qui oblige à recourir à un « urbanisme “intelligent” – comme on parle de technologie “intelligente” – capable de modifier ses aménagements au gré des circonstances [8] ».

En quoi consiste concrètement cette « intelligence » ? À mettre en place des dispositifs de séparation et de canalisation des publics, à limiter les croisements pour éviter les embouteillages et la congestion propices à toutes sortes d’actes de malveillance – des vols à la tire aux émeutes –, et aussi à installer des « périmètres de sécurité » amovibles et extensibles servant à trier et filtrer les usagers en fonction de la légitimité accordée à leur présence dans les lieux à sécuriser, sans oublier les « couloirs de circulation » réservés à la police pour permettre des interventions rapides. Ces techniques sont peu à peu diffusées dans l’ensemble des secteurs de la ville, quel que soit le niveau de risque auquel ils sont exposés, par hantise des regroupements inopinés, des mouvements de foule, des rassemblements intempestifs et des débordements incontrôlés. par Yohanne LamoulèreLe but est d’inciter au déplacement et de dissuader le stationnement dans l’espace public. Les maîtres-mots sont « fluidité » et « mobilité », l’immobilité étant suspectée de bloquer, intentionnellement ou non, les flux. Le modèle est celui de l’aéroport ou du stade dont les abords sont aménagés pour déjouer les attentats terroristes ou les exactions des hooligans.

Néanmoins, ce modèle serait excessif et contre-productif, selon les promoteurs et adeptes d’un urbanisme sécuritaire plus « soft », soucieux de « concilier sécurité et urbanité [9] ». Si « la contrainte spatiale est beaucoup plus admise que la répression policière », encore faut-il qu’elle se fasse discrète pour exercer ses pleins effets, sous peine d’inquiéter les citadins, alors qu’il s’agit de les rassurer, en leur donnant l’impression fâcheuse de vivre dans un environnement urbain quelque peu carcéral. Aussi les architectes, les urbanistes ou les paysagistes sont-ils invités à faire assaut de créativité pour rendre avenants les espaces qu’ils sécurisent.

L’archistar Jean Nouvel, par exemple, excellerait dans cet art de la « ruse », si l’on en croit Paul Landauer. À le lire, Jean Nouvel serait « passé maître dans l’invention et la mise en pratique de dispositifs subtils visant à masquer le contrôle et la protection d’espaces privés mais ouverts au public ». Certes, celui qui fréquente l’Institut du monde arabe (IMA), la fondation Cartier ou le musée des Arts premiers à Paris compte en principe peu d’« indésirables » et autres « malfaisants » ciblés d’ordinaire par l’architecture sécuritaire. Mais, on ne sait jamais. D’autant qu’il pourrait bien venir à l’idée de gens lettrés et bien éduqués appartenant aux franges de la petite bourgeoisie intellectuelle menacées par la prolétarisation de choisir ces hauts-lieux de la culture noble pour manifester leur « indignation ». Toujours est-il que l’on ne saurait contester l’aptitude de Jean Nouvel à « adapter les formes de ses projets aux évolutions de la sécurité ».

En 1981, lors de la conception du premier édifice, l’IMA, on en était encore à l’architecture de prévention situationnelle ancienne formule, c’est-à-dire visant avant tout la protection. L’objectif est alors de camoufler cette visée première. Ce que Jean Nouvel accomplira en aménageant devant la façade principale un faux parvis clôturé par un grillage dissimulé dans une haie interrompue par des stèles blanches hautes et massives qui se dressent telles des sculptures alors qu’elles servent de point d’appui aux grilles d’entrée. L’apparence d’un prolongement de l’espace public jusqu’au pied de l’édifice fera oublier aux visiteurs, comme Paul Landauer en félicite son confrère, que « l’institut s’ouvre, de tous côtés, sur un enclos entièrement privé et vidéosurveillé ».

Avec la fondation Cartier, inaugurée en 1994, on passerait à une « nouvelle étape dans le développement de la ruse ». Nouvel jouerait cette fois avec la « visibilité », pour ne pas dire la transparence, pseudo-concept cher aux architectes soucieux de doter leurs œuvres d’un look « démocratique », notamment quand elles abritent des sièges sociaux d’entreprises ou les instances dirigeantes de la bureaucratie étatique. L’alignement le long du boulevard Raspail de panneaux de verre qui se confondent avec les façades du bâtiment, en verre elles aussi, rend visible du dehors le jardin privé situé dans l’intervalle, ce qui contribuerait à faire passer la Fondation Cartier pour un « édifice public entièrement accessible ». Et Landauer, toujours admiratif, de conclure : « Il suffit de donner à voir aux passants les limites du fond de la parcelle pour que s’estompe la conscience du contrôle des entrées sur rue. » Il faut pourtant passer vite pour ne pas voir l’édicule de la billetterie que Nouvel, recourant à la « ruse » éprouvée mais éculée de la dissimulation, a eu peine à masquer derrière une grille.

Aux dires de Paul Landauer, l’édification du musée des Arts premiers, voulu par le Président Jacques Chirac, va néanmoins donner à Jean Nouvel l’occasion de faire un pas supplémentaire en matière de « ruse ». L’idée est de faire perdre aux visiteurs la « conscience des seuils à franchir » pour pénétrer dans le musée tout en empruntant un parcours dûment programmé. Là encore, sont appelés à la rescousse les panneaux vitrés et la végétation, auxquels s’ajoutent la mise sur pilotis du bâtiment et le dosage des éclairages extérieurs et intérieurs, pour placer les cheminements imposés par la répartition « rationnelle » des flux sous le signe de la découverte. Plus surveillés et contrôlés que jamais, les visiteurs auront ainsi l’illusion de pouvoir se déplacer dans ces lieux au gré de leurs envies.

Si perfectionnés soient-ils, cependant, ces subterfuges ne sauraient résoudre la contradiction à laquelle se trouvent confrontés les architectes-urbanistes-paysagistes qui s’évertuent, sous la pression de leurs commanditaires publics, en particulier les municipalités, à faire rimer sécurité et sociabilité, au lieu de les opposer. En effet, pour efficaces qu’elles soient en termes de pacification urbaine, les stratégies fondées sur la séparation des usagers et la spécialisation des usages (commerce, sport, art, fête...) pour éviter les conflits et les confrontations, ne vont pas dans le sens d’une « consolidation du lien social », objectif unanimiste et consensuel rituellement évoqué dans les discours des « décideurs » en matière de politique urbaine et dans la prose des chercheurs qui leur sont inféodés.

Ignorant délibérément la division de la société et, donc de la Cité, en classes, les inégalités criantes qui en résultent et les antagonismes qu’elle engendre, ces bons apôtres qui rêvent d’une « ville citoyenne » où chacun concourrait à la sécurité de tous se font les chantres d’un espace public apte à « donner lieu à une rencontre entre des êtres libres et égaux  [10] ». Or, déplorent-ils, les stratégies qui donnent la priorité au maintien de l’ordre au détriment du « vivre ensemble » vont à l’encontre de la « préservation d’un espace commun entre les hommes […] nécessaire à la sécurité elle-même, car elle seule garantit un partage et une juste distance entre les usagers, les habitants, les citoyens ou les visiteurs  [11] ». D’où une série de questions ineptes érigées en problématiques scientifiques : « Comment provoquer la rencontre dans des villes conçues pour éviter que les gens se croisent ? Y a-t-il un partage collectif possible dans des lieux hiérarchisés en fonction du degré de connaissance – l’inconnu étant perçu comme un intrus, voire un suspect – et de l’identité [12] » ? La réponse est à la hauteur, si l’on peut dire, des questions posées : mettre à profit « la prise en compte de la sécurité dans les projets urbains et architecturaux » pour « trouver la bonne distance entre les habitants, les citoyens, les usagers et les visiteurs. Ni trop près ni trop loin, ni trop séparés ni trop ensemble, ni trop en mouvement, ni trop immobiles. » Bref, la distance sociale étant postulée intangible, c’est la distance spatiale qui servira de variable d’ajustement. Les hommes et femmes de l’art sommés d’affirmer leur capacité à répondre aux problèmes de sécurité ont donc du pain sur la planche !

À cet égard, le grand manitou de l’urbanisme sécuritaire hexagonal ne se contente pas de prêcher et de préconiser. Il lui arrive aussi de mettre en œuvre les principes et les préceptes qu’il se plaît à rabâcher. Ainsi dans le cadre d’une opération de « sécurisation » de deux quartiers d’habitat social menée à Brest, qui lui ont valu, en 2008, le Prix français de la prévention de la délinquance. La cible ? De jeunes dealers qui avaient l’habitude de squatter des halls d’immeubles et les abords immédiats dans deux cités, ce qui, évidemment, gênait autant les locataires que le bailleur social. Vinrent d’abord les « diagnostics ». L’un concernait les « choix stratégiques des délinquants » : les lieux « offraient une bonne visibilité sur l’accès au site et étaient placés à proximité d’allées procurant les meilleures possibilités d’échappées » en cas de descente de police. L’autre portait sur les « raisons pour lesquelles les pratiques des habitants n’avaient pas permis d’empêcher ce type d’appropriation illégitime, voire violente, de ces lieux ». En bon professionnel de l’aménagement et de l’urbanisme, imprégné, comme l’ensemble de la corporation, d’idéologie spatialiste, Paul Landauer imputera tant ce détournement d’usage que le manque de réaction des résidents à l’espace public qui n’avait « pas joué son rôle ». Il permettait la circulation mais non « l’arrêt et le partage des lieux ».

La solution allait dès lors de soi : aménager au cœur des deux cités des places « confortables et accueillantes », avec des bancs, donnant directement sur les entrées d’immeubles, elles-mêmes reconfigurées – et tout de même dotées de digicodes et de lecteurs de badges –, où « peuvent se croiser à toute heure les citoyens et les habitants du quartier ». Placés sous l’œil des passants, les délinquants n’ont alors plus qu’à bien se tenir ou à déguerpir. Une opération bénéfique : deux ans plus tard, se réjouit Landauer, les fauteurs de troubles avaient presque totalement disparu. Il aurait pu néanmoins constater que ceux-ci avaient tranquillement transféré leurs activités à quelques centaines de mètres de là, si ses pas l’avaient guidé un peu plus loin. « Effet plumeau », commentent, blasés, les policiers brestois : « On peut déplacer la poussière, mais il en faudrait plus pour la faire disparaître. » Peu importe, pour les adeptes de l’espace défensif et défendable, sa configuration « peut remédier très directement aux situations d’insécurité qui, au-delà des problèmes sociaux [sic], relèvent parfois de conflits d’appropriation ou de manque d’espace pour être ensemble ». Les « problèmes sociaux » peuvent donc perdurer, voire s’aggraver. Il restera toujours des architectes, des urbanistes et des paysagistes assermentés pour en « réguler » spatialement la non-solution.


Notes


[2Thierry Oblet, Défendre la ville – La police, la ville et les habitants, coll. La ville en débat, PUF, 2008.

[3Paul Landauer, L’Architecte, la ville et la sécurité, coll. La ville en débat, PUF, 2009. Architecte normalisateur et normalisé, Paul Landauer est l’idéologue de pointe en France de l’urbanisme sécuritaire, dont il est aussi un maître d’œuvre reconnu.

[5Mathieu Rigouste, Les Marchands de peur, Libertalia, 2010.

[6Paul Landauer, L’Architecte, la ville et la sécurité, op.cit.

[7Guide des études de sûreté et de sécurité publiques, La Documentation française, 2007. L’un des deux concepteurs et coordinateurs de cet ouvrage collectif anonyme n’est autre que Paul Landauer. L’autre est Éric Chalumeau, directeur du cabinet Icade-Suretis, filiale de la société immobilière Icade, elle-même filiale de la Caisse des dépôts. Commissaire divisionnaire honoraire et président du Syndicat du conseil en sûreté, il est présenté comme un expert hors pair dans ce domaine en pleine expansion.

[8Paul Landauer, L’Architecte, la ville et la sécurité, op.cit.

[9Ibid.

[10Ibid.

[11Ibid.

[12Ibid.



3 commentaire(s)
  • Le 12 avril 2012 à 11h58, par BOB -

    voici une petite analyse interressante du discours securitaire ambiant : http://2ccr.unblog.fr/2011/05/05/le-discourt-securitaire/

    Répondre à ce message

  • Le 25 avril 2012 à 09h20, par Paul Landauer -

    Votre article, Monsieur Garnier, est à la fois malhonnête et paresseux.

    Malhonnête parce que vous détournez purement et simplement mes propos. J’ai toujours dénoncé et non revendiqué, comme vous le prétendez, l’urbanisme sécuritaire. Mon engagement ne souffre d’aucune ambiguïté dans cette lutte contre les injonctions de protection et de dispersion qui pèsent aujourd’hui sur l’architecture et l’urbanisme. Si mon nom est parfois associé à cette question, c’est bien parce que je suis un des seuls aujourd’hui en France à m’opposer de face aux présupposés sécuritaires qui conditionnent aujourd’hui les projets, là où la plupart de mes confrères se contentent d’intégrer, sans autre forme de procès, des grilles, des dispositifs de mise en mouvement et des postes de surveillance dans leurs bâtiments ou leurs aménagements.

    Or c’est bien là que réside la dérive sécuritaire dont souffrent aujourd’hui nos villes et leurs périphéries. Une dérive banale, anonyme, sourde, voire aveugle, qui répand des modes opératoires que personne n’a véritablement théorisé ni même conceptualisé. Les dénoncer suppose donc au préalable de les identifier et d’analyser ensuite leurs effets. Cette réflexion « spatiale » est d’autant plus difficile à mener que de nombreux dispositifs de sécurité sont aujourd’hui masqués au sein d’aménagements ayant les apparences de l’accueil et de l’ouverture. C’est ainsi que la sécurité ne se traduit plus tant par la multiplication des forteresses – à la manière du Los Angeles décrit il y a près de vingt ans par Mike Davis – mais par la mise en place de subtils dispositifs visant à organiser une ségrégation des comportements. D’où une confusion possible entre le raffinement de l’exercice sécuritaire et l’illusion d’un espace public libre de toute entrave. C’est là l’objet des deux premières parties de mon livre L’architecte, la ville et la sécurité (PUF, 2009), la troisième consistant à explorer quelques pistes pour contourner les conditions d’une commande que les pouvoirs publics et les maîtres d’ouvrage, de plus en plus concernés par le risque d’insécurité, passent aux architectes, aux urbanistes et aux paysagistes. Il se termine par un plaidoyer en faveur de l’espace public, celui-ci étant menacé par l’extension du domaine de la sécurité privée.

    Vous puisez dans mon texte la description de ce qui se passe – fruit d’un long travail de recherche – pour l’ériger en modèle prémédité et vous attribuer ensuite les mérites de la dénonciation, allant jusqu’à reprendre à votre compte quelques-unes de mes sources (Mike Davis, Zygmunt Bauman) et de mes exemples (Jean Nouvel). Surtout, vous réduisez votre critique à celle d’une manipulation des concepteurs par un Etat policier et répressif qui chercherait à maintenir une oppression sur les classes populaires. Et que faute d’avancer des preuves pour étayer cette thèse, vous avez délibérément choisi de confondre l’analyste avec l’idéologue. J’avais craint, au moment de l’écriture de mon ouvrage, que ma description – nécessaire à la dénonciation – des nouveaux dispositifs de dispersion des foules ne soit détournée au profit des nouveaux experts en sécurité urbaine qui, à la faveur d’une législation imposant depuis 2007 des études préalables, sont en train de développer un nouveau savoir-faire. Je n’avais pas pensé que ce détournement proviendrait d’un autre pourfendeur de l’urbanisme sécuritaire, laissant la place libre aux véritables acteurs qui contribuent à réduire les usages de l’espace public. On ne sait vraiment plus à qui se fier.

    Paul Landauer

    Répondre à ce message

    • Le 18 novembre 2013 à 07h27, par Jean-Pierre Garnier -

      Réponse de J-P Garnier à la réponse de P. Landauer

      Puisque c’est à moi que vous vous adressez, je vous répondrai sur le même registre personnel, en laissant aux lecteurs de CQFD la liberté de trancher, quitte à devoir, en cas d’hésitation, les inciter à se reporter sur vos ouvrages (pub gratuite). La meilleure défense, c’est l’attaque, comme disait l’autre (je parle de la vôtre, bien sûr et non de la mienne puisque j’ai, comme on dit, tiré le premier). Ce qui vaut sur le plan rhétorique comme sur le plan militaire. Encore faudrait-il appliquer ce principe avec discernement. Or, vous m’accusez de beaucoup de choses sans émettre le moindre argument contre des points précis de mon papier. « Malhonnêteté et paresse », c’est sous ce double signe peu flatteur à mon égard qu’est placé votre acte d’accusation. Commençons par la paresse car je crois pouvoir avec facilité me laver de ce soupçon. Vous n’ignorez sans doute pas, tout d’abord, que je suis un lecteur assidu de vos écrits étant donné le nombre des miens sur le sécuritarisme urbain où il est question des vôtres. Ce qui suppose que je les ai lus un tant soit peu attentivement et plus d’une fois, en vous citant toujours, tâche rebutante pour des esprits paresseux. Mais il semble plutôt, si je vous suis, que ladite paresse consisterait à m’économiser le « long travail de recherche » que vous auriez effectué pour décrire « ce qui se passe » et à m’« attribuer les « mérites » de sa « dénonciation », allant jusqu’à reprendre à mon compte quelques unes de vos sources. Or, figurez vous, tout d’abord, que je ne vous avais pas attendu pour lire Mike Davis et Zygmunt Bauman, comme en témoignent certains de mes articles et des ouvrages parus au cours de la dernière décennie du siècle écoulé, consacrés en tout ou en partie à ce que vous considérez comme relevant de « l’idéologie » — j’y reviendrai —, à savoir les agissements d’un « État répressif et policier qui chercherait à maintenir une oppression sur les classe populaires ». En ce qui concerne le travail de terrain, j’ai passé pas mal de temps à enquêter dans les lieux et auprès des gens concernés, et cela, contrairement à ceux que j’appelle les socio-flics ou flicologues, hors du cadre de la recherche sur contrats au service dudit État et autre Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) que vous connaissez bien pour y avoir été impliqué. De surcroît, en tant que membre du collectif des Big Brother Awards durant une dizaine d’années (2000-2010), j’ai dû encore sillonner pas mal de « cités » et rencontrer pas mal de personnes — « racailleux » compris — pour soumettre au choix du jury des BBA les candidats les plus méritants dans la section « localités » pour se voir décerner le prix « Orwell » en matière de « sécurité urbaine ». Bref, qu’il s’agisse des informations recueillies sur place ou des sources bibliographiques, je n’ai pas eu besoin de vous pour les récolter. Reste maintenant la seconde tare dont je souffrirais : la malhonnêteté. Si j’ai bien compris, j’aurais détourné voire déformé votre pensée en vous faisant passer pour le grand manitou de l’urbanisme sécuritaire hexagonal. À cela vous rétorquez que vous êtes « un des seuls aujourd’hui en France » à vous « opposer de face aux présupposés sécuritaires qui conditionnent aujourd’hui les projets » De face ou de profil, je ne sais, mais c’est là un véritable scoop. Le Guide des études de sûreté et de sécurité publiques dans les opérations d’urbanisme, d’aménagement et de construction, que vous avez concocté avec le commissaire divisionnaire Éric Chalumeau, directeur d’une filiale d’Icade spécialisée dans le conseil et l’assistance en matière de sûreté et de sécurité et président du Syndicat des Cabinets de Conseil en Surveillance et Sûreté, serait-il un pamphlet contre le sécuritarisme urbain ? Votre collaboration avec l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, devenu « Sécurité » tout court — l’ennemi, comme le capitalisme, est devenu global —, participerait- elle d’une stratégie d’infiltration des officines étatiques chargées du contrôle social et de la répression ? Le Prix Prévention de la Délinquance attribuée par le Forum Français de la Sécurité urbaine que vous avez reçu en 2008 pour avoir normalisé l’usage de l’espace public dans le quartier brestois dont il est question dans votre livre et mon article récompensait-il un subversif susceptible d’y instiller un subtile désordre ? Inutile d’allonger la liste : votre palmarès sécuritaire est interminable comme pourront s’en convaincre les lecteurs de CQFD en cliquant sur google. Je vous accorderai cependant que le terme de « sécuritaire » vous sied mal car il est en voie de péremption. C’est de la « sûreté urbaine » que vous êtres le spécialiste incontesté. « Sûreté » ? Un vocable « républicain » exhumé en 1997 par Jean-Pierre Chevènement quand il officiait comme 1er flic de France dans le gouvernement Jospin. Initialement et encore aujourd’hui, c’est le Troisième Droit de l’Homme derrière la Liberté et la Propriété, et avant le Droit à la Résistance à l’Oppression. Il signifiait à l’origine la préservation du Citoyen face à l’arbitraire du pouvoir d’État. Rapidement foulé aux pieds il est devenu ensuite synonyme de prison (« maison de sûreté ») et de police politique ( « la Sûreté »). Pour pourriez le rappeler à vos étudiants quand vous leur inculquez vos préceptes et vos recette en matière de « sûreté urbaine ».

      Jean-Pierre Garnier

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