Tram marseillais, occupation israélienne

Un tramway nommé colonisation

En septembre, la métropole d’Aix-Marseille a annoncé l’achat de quinze rames de tramway à l’entreprise espagnole CAF. Un accord problématique pour Juliette Simon, animatrice à BDS Provence1 : cette entreprise gère une partie du tram qui relie Jérusalem à des colonies israéliennes illégales en Palestine.
Par Théo Bédard

Lors de ses courses électoralistes de septembre 2021 à Marseille, Macron a annoncé le plan « Marseille en grand » et un milliard d’investissement pour les transports publics. Un an plus tard, la Métropole Aix-Marseille-Provence achète à ­l’entreprise espagnole Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) les quinze premières rames de tramway de la ligne T3 dont l’extension sur un axe nord-sud est annoncée d’ici 2025. Cette première commande, d’un montant de 57 millions d’euros, pourra ensuite être augmentée en fonction des besoins, le contrat étant conclu pour huit ans. Au-delà des enjeux politiques locaux dans une ville réputée pour la médiocrité de ses transports en commun, le choix de CAF est aussi lourd de responsabilités : l’entreprise est en effet impliquée dans la gestion du tramway reliant la ville de Jérusalem-Ouest aux colonies israéliennes illégales des territoires palestiniens occupés que sont Jérusalem-Est et la Cisjordanie.

Confiscation de terres palestiniennes

En 2019, le groupe CAF s’est vu confier l’extension, l’exploitation et la maintenance de la première ligne (la « ligne rouge ») du Jerusalem Light Rail (JLR), le tramway urbain de Jérusalem, qui relie l’ouest de la ville aux territoires palestiniens occupés2. En 2022, elle récupère le projet de construction, d’exploitation et de maintenance de la troisième ligne, la « ligne verte »3, l’entreprise Alstom s’étant retirée à la suite de pressions internationales. « L’un des impacts de la construction de ce tramway est la confiscation des terres palestiniennes, explique Zakaria Odeh, coordinateur de la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem, à Daan de Grefte, conseiller juridique au Centre européen de soutien juridique, au cours d’un échange en mai 2022. Ces terres sont privées, elles appartiennent à des Palestiniens et sont confisquées pour construire le tramway. Ce projet a affecté la vie des gens, certaines maisons ont été détruites. Le trajet du tramway ne dessert les quartiers palestiniens qu’afin d’atteindre les colonies. Son principal objectif est de faciliter le mouvement des colons dans le territoire palestinien occupé de Jérusalem-Est. »

« L’un des impacts de la construction de ce tramway est la confiscation des terres palestiniennes »

Dans une lettre ouverte à la ministre de ­l’Europe et des Affaires étrangères, en octobre, la Ligue des droits de l’homme dénonce le rôle des entreprises européennes et françaises dans ce projet « de colonisation en contradiction avec le droit international, la politique affirmée de la France et leurs propres engagements en matière de respect des droits humains ». CAF, nouveau partenaire de poids pour tout le rail français4, est dans leur viseur, bien qu’elle ne soit pas pour l’instant dans la liste des entreprises liées à la colonisation israélienne établie par l’Onu. En mai 2022, le Point de contact national (PCN) espagnol pour les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales publie un rapport rappelant que les violations du droit international commises par l’État d’Israël ne peuvent être ignorées des entreprises étrangères qui y exercent une activité économique et que CAF aurait dû en tenir compte. À ce jour, cette dernière ne s’est pas conformée à ces recommandations.

Silence à la Métropole

Malgré le courrier envoyé cet automne à plusieurs conseillers métropolitains « de gauche » et à certains membres de la commission des transports ou de la commission des appels d’offres du conseil métropolitain, il n’y a eu aucune prise de position sur le sujet. Pourtant, comme l’explique Daan de Grefte : « La Métropole Aix-Marseille est autorisée à exclure des entreprises comme CAF sur la base de la législation européenne sur les marchés publics, car son implication dans le projet JLR constitue une “faute professionnelle” grave. Ils sont également tenus de ne pas reconnaître comme licites ou de ne pas “prêter aide ou assistance” à des situations illicites causées par des violations graves du droit international.  » En off, une conseillère métropolitaine nous explique qu’au vu des enjeux autour de « Marseille en grand », ce genre de sollicitation est « actuellement inaudible » au conseil. Contactée, la Métropole n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Juliette Simon

1 Comité local de la campagne internationale Boycott Désinvestissement Sanction (bdsfrance.org/comite/13).

2 Au lendemain de la guerre des Six-Jours (1967), Israël annexe ses conquêtes de l’est de la ville et de sa banlieue. Plus de la moitié de la superficie et de la population de la municipalité israélienne de Jérusalem relèvent ainsi des territoires palestiniens occupés.

3 Ironie de l’histoire, on appelle aussi « ligne verte » la frontière qui sépare Israël de la Palestine au terme des accords d’armistice de 1949. Ceux-ci augmentaient considérablement le territoire israélien par rapport au plan de partage de la Palestine par l’Onu et entérinaient la division de Jérusalem.

4 En France, CAF a remporté un contrat historique en 2022 avec le tram de Montpellier (77 rames pour près de 224 millions d’euros), va construire les nouveaux trains du RER B aux côtés de Bombardier (146 trains pour 2,56 milliards d’euros) et possède deux usines sur le territoire français. L’entreprise espagnole est devenue un des leaders mondiaux du secteur (près de trois milliards d’euros de chiffre d’affaires net en 2021).

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CQFD n°217 (février 2023)

Alors que le mouvement contre la (énième) réforme des retraites s’intensifie, nous ouvrons ce numéro de février par analyse et témoignages... en attendant la grève générale ? Ce n’est pas sans rapport, vu la répression brutale qui a répondu aux dernières grandes mobilisations populaires (loi Travail, Gilets jaunes...) : notre dossier du mois est consacré aux luttes qui défliquent. Huit pages en mode ACAB pour mettre en lumière celles et ceux qui réfléchissent et agissent pour un monde sans police. On revient également, via un long entretien avec le journaliste Rémi Carayol sur le fiasco de la présence militaire française au Sahel. On parle de murs à abattre. Mais ce n’est pas tout... Demandez le programme !

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