Social

Un havre de luttes

Le 31 mars 2014 au Havre, quatre militants CGT, accompagnés par quelque 5 000 personnes, étaient attendus au tribunal pour prendre connaissance d’un verdict qui s’annonçait sévère. Six mois de prison ferme suite à un chahut lors d’un conflit dans une boîte en grève. La relaxe a été finalement prononcée, mais la lutte continue…

Depuis l’audience du 21 février qui examinait deux affaires a priori banales, la tension sociale était palpable au Havre. Ce matin-là, le tribunal correctionnel examinait la plainte du parti « socialiste » et du parti radical de « gauche » suite à un collage d’affiches cégétistes sur leur vitrine, en marge d’une journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites à la sauce PS. Catherine Troallic, la députée socialiste, avait aussi mis son grain de sel parce que sa plaque parlementaire avait été dévissée. L’après-midi était consacré à la plainte d’un huissier qui avait égaré son porte-documents au milieu d’un feu de palettes qui réchauffait les grévistes d’une société de courtage en assurances. L’étourdi ne s’était pas rendu compte qu’il sifflait L’Internationale en photographiant la manifestation…

Photo D.R.

Le procureur de la République avait corsé le tarif, en particulier dans la seconde affaire, puisque pas moins de six mois de prison ferme et 500 euros d’amende étaient requis. La journée d’action interprofessionnelle public-privé du 18 mars devait être une première réponse, unitaire et quantitativement forte, à cette attaque en règle. Ainsi, l’arrivée du cortège devant le palais de justice n’est pas passée inaperçue. La création d’un comité de soutien, rassemblant large, avait contribué à faire chauffer la colle. En dernière couche, les propos des dockers n’ont pas dû tomber dans l’oreille d’un sourd, fût-il malentendant ! « Si, le 31 mars, le rendu du jugement est autre que la relaxe, nous appellerons tous les portuaires et les dockers du Havre, mais aussi de France, à rentrer dans une lutte très longue et très dure », assurait Johann Fortier, le secrétaire général des dockers CGT du Havre. Une menace ? Non, un «  conseil ».

Le 31 mars, une nouvelle foule de 5 000 personnes s’est donc massée en fin de matinée pour un « pique-nique » qui n’avait rien de champêtre. En face, les forces de police et de gendarmerie n’étaient pas là pour faire de la figuration1. En très grand nombre et bien équipés, les bleus quadrillaient le centre-ville. Le parvis du palais de justice était bordé par un enchevêtrement de barrières. Il fallait montrer patte blanche pour passer les chicanes. Pendant que les merguez enfumaient tout le monde, les déclarations se succédaient sous un crachin tenace. « Au Havre, personne n’oubliera jamais notre camarade Jules Durand, poursuivi parce que syndicaliste », a commencé Patrick Le Balc’h pour l’UL CGT. Si l’affaire Jules Durand remonte à 19102, la tentation de transformer en voyous des syndicalistes trop remuants est loin d’avoir disparu. « Les Cinq de Roanne, les Deux de Lyon, les Conti, les Goodyear, les Quatre du Havre… et demain, vous et moi ? », poursuivait Patrick Le Ballch, décidément en verve3 ».

Les quatre militants, Reynald Kubecki, Jacques Richer, Pierre Lebas et Dominique Mutel ont gravi les marches du tribunal poing levé pour aller entendre la sentence. Dans la première affaire, celle des collages d’affiches sur les locaux du PS et du PRG et de la disparition de la plaque parlementaire, les faits ont été requalifiés. Les quatre syndicalistes écopent de contraventions. Pour la seconde affaire, alors que personne ne prenait à la légère la menace des six mois de prison, le tribunal a prononcé la relaxe totale.

Par Berth.

En attendant un éventuel appel du parquet – « Qu’ils essaient et nous reviendrons encore plus nombreux » – , les syndicalistes présents le 31 mars au Havre réclament une loi d’amnistie assurant la protection des militants syndicaux et associatifs qui agissent dans le cadre d’actions collectives4. Quoi qu’il en soit, provisoirement soulagée, sous le soleil revenu, la foule s’est dispersée dans le calme (tant pis pour l’inutile déploiement policier) pendant que la sono jouait à fond le célèbre On lâche rien ! signé HK et les Saltimbanks. Pour rien lâcher, on peut être certains qu’ils ne lâcheront rien, les héritiers de Jules Durand.


1 Comme dans un énième épisode de la série « Deux flics sur les docks », qui se passe au Havre et sur France2.

2 Le docker syndicaliste révolutionnaire avait été victime d’une machination patronale et judiciaire. Condamné à mort, il est finalement mort fou en 1926.

3 Il a enfoncé le clou de cette manière : « Devons-nous rougir de riposter à des attaques d’une violence extrême faites sur les salariés, les privés d’emploi, les jeunes ou les retraités ? Depuis quand militer, défendre les salariés et combattre les réformes injustes est un délit ? On tente de nous intimider, de nous bâillonner. Sachons résister tous ensemble !

4 Les Quatre du Havre ont refusé de donner leur empreinte génétique lors de leur convocation au commissariat central du Havre en janvier dernier. Ils veulent aussi une loi qui efface du fichier des prélèvements génétiques tous les militants syndicaux et associatifs interpellés dans le cadre d’actions collectives.

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