Capture d’écran
Tuanbo : danse ou crève
Dans notre société du spectacle bien pourrie de l’intérieur, les corps jeunes finissent toujours par se faire exploiter. Sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, un nouveau format vidéo est en pleine expansion : le tuanbo, ou livestream de groupe. Dans ces shows en direct, des escouades de cinq à sept danseur·ses enchaînent les chorégraphies, tandis que les spectateur·ices envoient des cadeaux virtuels payants pour influencer la danse. Les algorithmes dictent en temps réel qui reste sous les projecteurs et qui disparaît, transformant la scène en arène numérique où l’attention est une marchandise et les êtres humains des pantins désarticulés.
Né de l’interdiction des émissions de télé-réalité d’idoles1 en 2021, le tuanbo s’est vite imposé comme un marché colossal : plus de 5 000 studios se disputent la visibilité, et le secteur devrait dépasser 15 milliards de yuans (environ deux milliards de dollars) cette année. Les performances se vendent comme des actions en bourse : chaque clic, chaque cadeau numérique compte. Ce n’est plus seulement un spectacle. C’est une économie de l’attention où le corps et l’énergie des jeunes artistes deviennent capitaux.
Mais derrière les chiffres et les lumières colorées, la réalité est beaucoup moins glamour. Comme le raconte le média chinois Sixth Thtone, des centaines de jeunes femmes – et d’hommes – s’abîment la santé en espérant se faire repérer. Lu Yingcheng, 20 ans, a abandonné ses études et un contrat d’idole pour rejoindre un studio, oscillant entre anxiété, épuisement et espoirs de célébrité. Après avoir investi des années dans des cours de danse ou de comédie, ces aspirant·es stars se retrouvent à conjuguer lives interminables et performances épuisantes pour un salaire modeste et une reconnaissance limitée.
Dans les studios comme ceux de Peach Island, les journées peuvent durer de six à sept heures de direct, suivies de réponses aux messages et de répétitions supplémentaires, avec interdiction de contacts privés avec les fans. Le rythme est infernal : chaque geste, chaque sourire, chaque note de musique doit être calibré pour maintenir l’algorithme attentif et les spectateur·ices engagé·es. La créativité est oubliée, tandis que la fatigue devient une norme.
Au final, le tuanbo n’est pas seulement un phénomène culturel : il est la vitrine la plus crue de l’exploitation capitaliste. Les rêves d’idoles sont transformés en performances interchangeables, destinées à nourrir un flux numérique insatiable. Derrière les paillettes et les pétales virtuels, c’est surtout une course aux dons financiers. Tandis que les plateformes et les studios empochent les gains en exploitant l’énergie et la fragilité de ces jeunes qui rêvent de devenir des stars. Pendant ce temps, le marché, lui, ne s’épuise jamais.
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1 En Asie, la fabrique des idoles transforme la jeunesse et le talent en produit commercial standardisé, en contrôlant leur image, formation et interaction avec les fans.
Cet article a été publié dans
CQFD n°246 (novembre 2025)
Ce numéro de novembre s’attaque de front à la montée de l’extrême droite et à ses multiples offensives dans le milieu associatif et culturelle. On enquête sur les manœuvres des milliardaires réactionnaires, l’entrisme dans la culture et les assauts contre les assos dans le dossier central. Hors-dossier, on vous parle des les alliances nauséabondes entre hooligans, criminels et pouvoir en Serbie, on prend des nouvelles des luttes, de Bruxelles aux États-Unis, en faisant un détour par Exarchia et par la Fada Pride qui renaît à Marseille. Et pendant qu’on documente la bagarre, le Chien rouge tire la langue : nos caisses sont vides. On lance donc une grande campagne de dons. Objectif : 30 000 euros, pour continuer à enquêter, raconter, aboyer. CQFD compte sur vous !
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Paru dans CQFD n°246 (novembre 2025)
Dans la rubrique Capture d’écran
Par
Illustré par Céleste Maurel
Mis en ligne le 22.11.2025
Dans CQFD n°246 (novembre 2025)
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