En janvier 2013, une vingtaine de directeurs d’écoles du Jura recevaient un courrier comminatoire de l’Inspection académique les enjoignant fermement de saisir les données de Base élèves : « Je vous rappelle que cette tâche relève de vos obligations de service qui s’attachent à votre fonction, telles qu’elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l’autorité hiérarchique dans le cadre des lois et règlements. » Sinon, « une retenue financière serait effectuée pour non respect de vos obligations de service. » Membre du CNRBE, Anne Chaudet analyse : « On évalue à une quarantaine le nombre de directeurs qui ne renseignent pas Base élèves, un chiffre assez faible lié aux sanctions importantes prononcées ces deux dernières années. D’un autre côté, on a eu quelques victoires, des jugements qui déclarent ces sanctions illégales. C’est le cas pour un enseignant du Maine et Loire dont la mutation imposée à été reconnue comme une sanction déguisée, avec non-respect de la procédure de la part de l’Inspection académique. »
Instituée dès 2002 et généralisée sur l’ensemble du territoire pendant les années 2005-2007, l’application Base élèves 1er degré (BA1D) établit un fichage des élèves de la maternelle au CM2. But officiel de l’outil : améliorer la gestion des élèves et le suivi de leur parcours scolaire. But officieux : établir une traçabilité et un suivi « qualitatif » des écoliers. En 2008, c’est sous la pression populaire que le gouvernement d’alors avait supprimé du dispositif les données les plus sensibles relatives à la nationalité et la culture d’origine. Véritable outil de contrôle social pesant sur la tête de nos marmots, BA1D n’est qu’un des nombreux avatars de cette marée numérique qui envase nos écoles et face auxquels le CNRBE est parti en guerre.
Autre exemple : l’application informatique Affelnet [1] qui gère l’affectation des élèves dans les lycées en fonction de leurs vœux et de leurs résultats. « Depuis qu’on utilise Affelnet, nous avons un nombre grandissant d’élèves non affectés à la rentrée. La logique ce n’est pas de dire : il y a tant d’élèves qui ont fait tel vœu donc on met tant de profs en face. Non, c’est : on a tant de profs et on se débrouille pour avoir tant d’élèves. Si vous avez 50 élèves qui demandent telle section pour tel lycée et que vous n’avez que 25 places, on n’ouvrira pas une seconde section. On prendra les 25 premiers, les autres n’auront qu’à se retourner vers leur deuxième vœu. » Sous réserve que celui-ci ne coïncide pas avec le premier vœu d’autres élèves…
Un pas supplémentaire a été franchi avec le développement, depuis deux ans, d’Affelnet 6e qui établit désormais une continuité du fichage entre primaire et collège. « En additionnant les 6 millions d’enfants du primaire aux 7 millions de collégiens, on entre dans le fichage d’une génération », calcule Anne. Pour évaluer l’ampleur de ce processus massif de marquage, encore convient-il de rappeler que : 1. Dès le début de sa scolarité, chaque élève est doté d’un numéro national d’identifiant (INE), 2. Chaque INE est collecté dans un Répertoire national des identifiants élève, 3. Chaque élève est lié, via son INE, à un Livret personnel de compétence. Un livret qui « permet de centraliser des renseignements extrêmement sensibles sur les enfants puis sur les adultes, dans des serveurs académiques, nationaux et même européens (Europass) [2] : les compétences et incompétences, les rythmes d’acquisition, et par là-même les difficultés. [3] » Avec comme finalité la mise en place au niveau européen d’un fichage des compétences, attendu de pied ferme par les partisans d’un marché de l’emploi européen dérégulé à l’envi.
Anne conclut : « On pose la question : qui est en capacité de dire quelles sont les données recueillies par l’éducation nationale et qui y a accès. Il y a une architecture informatique qui est effarante et très opaque. Contrairement à ce qu’on nous dit, on ne fiche pas pour gérer, on gère pour ficher. »