Mardi 6 décembre 2011, gauche et droite confondues, des députés s’unissent pour confirmer la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Roselyne Bachelot, la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, a rappelé que la prostitution est « une violence faite aux femmes » et « une négation de nos principes fondamentaux ». En clair, il s’agit de faire rentrer dans la tête de ses concitoyens que le corps des femmes – et accessoirement des hommes – ne se consomme pas comme un vulgaire burger à la sortie du cinoche. S’alignant sur le droit suédois, une proposition de loi prévoit de sanctionner le client qui solliciterait les faveurs d’une travailleuse du sexe (TDS) par une peine de deux mois de prison et 3 750 euros d’amende.
Si une partie de la prostitution est indéniablement gangrenée par des réseaux de type mafieux, une autre est, n’en déplaise à Roselyne, le fait d’hommes et femmes ayant choisi de faire des talbins grâce au tapin. Manon est escort-girl [1] à Toulouse : « Aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais eu une image négative, victimisante ou misérabiliste de la prostitution. Peu après le lycée, j’ai commencé à m’intéresser à ce boulot et j’ai finalement sauté le pas après avoir réfléchi pendant plusieurs années. Ce projet de loi de pénalisation des clients est une fois de plus une violence faite aux travailleuses du sexe, une nouvelle loi faite pour nous mais sans nous avoir consultées. » Manon est aussi membre du Syndicat des travailleur(se)s du sexe (Strass), un jeune syndicat crée en 2009 aux assises de la prostitution de Paris. « Le Strass est une structure d’auto-organisation des TDS qui souhaitent lutter pour leurs droits », précise Morgane, sa secrétaire générale.
Entre prohibitionnisme (interdiction pure et simple de la prostitution, comme en Chine) et réglementarisme (encadrement légal de la prostitution comme aux Pays-Bas), la France n’en finit pas de dévoyer sa position abolitionniste adoptée après guerre. Morgane : « Le mouvement abolitionniste du départ voulait supprimer la réglementation spécifique sur le travail sexuel, et notamment le modèle des maisons closes qui soumettaient les TDS à des tenanciers, dans des lieux d’enfermement, de contrôle social et sanitaire. Or les abolitionnistes d’aujourd’hui sont devenus des prohibitionnistes. En amalgamant prostitution et exploitation, ils créent un véritable cercle vicieux : plus on cherche à prohiber une activité, plus elle devient marginale et invisible, et plus les réseaux de traite et d’exploitation se développent. »
En 2003, Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, transformait le racolage passif en délit dans sa Loi sur la sécurité intérieure (LSI), officiellement pour lutter contre les réseaux de traite humaine. Une fumisterie qui aura fait long feu puisque même le député UMP Guy Geoffroy a reconnu dans son rapport d’information du 13 avril 2011 que l’incrimination du racolage passif n’avait permis en rien de lutter contre les réseaux proxénètes mais, au contraire, avait dégradé les relations – déjà tendues ! – entre pandores et prostituées, et compliqué pour ces dernières l’accès aux soins [2]. Un constat corroboré par Morgane : « Les conséquences de la LSI ont été catastrophiques. Pour échapper à la police, les TDS se sont éloignées des centres-villes, donc de la population et des structures de prévention. Isolées, elles sont devenues des cibles plus courantes d’agressions. Précarisées, elles ont été poussées à accepter plus facilement des clients ou pratiques qu’elles auraient refusés avant [3]. Beaucoup ont également fait appel à des réseaux pour les protéger de la police. La pénalisation des clients ne fera qu’aggraver ces effets. »
Le 17 décembre 2011, une centaine de TDS défilaient dans les rues de Paris à l’initiative du Strass, d’Act-Up et d’autres organisations. « Répression = contamination » ; « ClientEs pénaliséEs = Putes assassinéEs ». On a trouvé mots d’ordre moins explicites. « On demande deux choses, résume Manon, l’abrogation de la loi sur le racolage passif, et celle sur le proxénétisme d’aide et de soutien. Cela nous permettrait de nous associer entre nous afin de créer nos propres bordels autogérés. Nous refusons les bordels dirigés par des patrons, nous savons très bien gérer notre travail sans avoir quelqu’un pour nous imposer les clients, les prestations, les horaires et les tarifs. On ne veut pas de traitement spécial, juste qu’on nous foute la paix ! Que notre parole soit entendue, que les “experts”, psys, sociologues, journalistes et autres cessent de nous la prendre. C’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons. »