Schiste fucking au Royaume-Uni

Alors que le gouvernement écossais a ordonné fin janvier un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique1, le Premier ministre britannique David Cameron semble déterminé à poursuivre sa ruée vers ce shale gas, nouvelle énergie « miracle ». La résistance s’organise, décidée à faire reculer une meute d’industriels déjà bien installés.

Tina Rothery établit son poste d’observation  : sur sa chaise en plastique verte, face à la petite foule de manifestants qui s’ébroue mollement en ce dimanche hivernal contre le gaz de schiste, devant la haute barricade protégeant le site de forage d’Ellesmere Port, au nord-ouest de l’Angleterre. La main gauche de Tina tient bien droite une pancarte aussi haute qu’elle – « SAY NO to fracking » – tandis que se dresse à 50 mètres derrière son dos une longue structure d’acier plantée à la verticale, la foreuse au centre des conversations. On dit qu’elle est la seule en activité dans tout le royaume. On dit aussi que Tina est l’héroïne de la lutte contre le gaz de schiste en Angleterre car, la soixantaine et pas peu fière de se confronter aux flics, on l’a vue traîner sa pancarte dans tout le pays. Ici, à en croire le site frack-off dédié aux résistances au shale gas britannique, on compte environ 150 sites de forage, la plupart en phase exploratoire, gérés par une quinzaine de compagnies privées. Parce que le gâteau est énorme  : 50 ans des besoins énergétiques du pays couverts grâce à l’exploitation de seulement 10 % des réserves potentielles, estime la British Geological Society.

Par Camille Burger.

« David Cameron a lancé sa ruée vers le gaz de schiste en espérant refaire l’eldorado américain, explique Tina. Et l’industrie a été très agressive. C’est une honte que le gouvernement les autorise à forer sans demander l’avis des gens qui vivent à côté. » De fait, le Premier ministre britannique s’est distingué par son empressement à dérouler le tapis rouge aux industriels, à grand renfort de génuflexions légales et de cadeaux fiscaux, réduisant de moitié leur taux d’imposition en 2013 et promettant de reverser la totalité des recettes aux collectivités locales impactées. Et tant pis si M. Cameron avait un temps fait campagne en promettant une « révolution verte », une « croissance verte » ou encore « le gouvernement le plus vert de l’histoire ». Il vient d’ailleurs de soumettre une loi au Parlement autorisant le forage de puits de fracturation hydraulique sous des habitations, dispensant les industriels d’obtenir le consentement de leurs occupants. « Je veux que ça aille aussi vite que possible », annonçait George Osborne, ministre des Finances.

Et voilà qu’en 2011, le premier site de fracturation hydraulique du Royaume-Uni lançait fièrement ses forages exploratoires à une cinquantaine de kilomètres de là et… causait deux petits séismes. Eu égard à la pollution et aux maladies neurologiques que peuvent entraîner les produits chimiques utilisés pour l’extraction du gaz, les promesses d’énergie pas chère se sont quelque peu affadies. « Plus j’en apprends, plus ça m’a l’air mauvais, lance Peter, un ingénieur retraité des plateformes pétrolières écossaises, agrippé à sa pancarte dans la manifestation d’Ellesmere Port. En dessous de nous, il y a la deuxième plus grande nappe phréatique d’Angleterre. Et on laisse tous ces produits se répandre dans le sol. » Sans oublier que « contrairement aux États-Unis, il y a peu de grands espaces libres ou inhabités en Angleterre, ajoute Tina. Alors on voit des entreprises installer des puits de forage près des zones urbaines, à côté d’habitations. Ici, (à Ellesmere Port, ndlr) c’est une zone industrielle mais vous traversez la route et vous arrivez dans un quartier résidentiel ».

Aussi n’est-il guère étonnant de voir apparaître autant de groupes militants que de puits de forage. Depuis le premier groupe impulsé par Tina à Blackpool après les deux séismes de 2011, on en compte aujourd’hui plus de 150 dans tout le royaume. « Il y a beaucoup de Monsieur et Madame Tout-le-monde avec nous, souffle Tina. Pas seulement des écolos, mais aussi des riverains craignant des dévaluations immobilières2. Moi, je suis grand-mère et j’ai squatté des sites de forage pendant des semaines. On travaille ensemble, on monte des camps sur des sites en construction, on organise les manifestations, etc. Tout le monde est partie prenante. » À la différence des contestations observées dans l’Est du continent, les fracktivists britanniques ont, en outre, le soutien de puissantes ONG écologistes et de figures people comme Vivienne Westwood ou Bianca Jagger. Une opposition d’autant plus vive que les institutions publiques supposées réguler le marché sont largement décrédibilisées  : l’Environment Agency par exemple, chargée de délivrer les permis d’exploitation, a investi 50 millions de livres dans la pétrochimie britannique à travers son fonds de pension. « On est super optimistes, ajoute Tina en partant. Ils ont banni le schiste à New York en décembre (2014) après des années de contestation, je ne vois pas pourquoi on n’y arriverait pas ici. » Un succès qui pourrait définitivement dévier l’avidité des industriels vers des pays plus accommodants comme la Tunisie ou l’Algérie (quoi que...), par exemple.


1 La fracturation hydraulique (fracking) consiste à injecter de grandes quantités d’eau pressurisée (mélangée à des produits chimiques) en profondeur dans le sol pour fissurer des couches rocheuses et en extraire le méthane qu’elles renferment.

2 Un rapport du Département britannique de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales, publié l’année dernière, comportait de nombreux passages censurés, en particulier sur la question de l’impact du gaz de schiste sur les communautés locales et le prix de l’immobilier. Un commentateur avait d’ailleurs déclaré à l’époque : « On aurait dit que le rapport était consacré aux différentes options militaires pour une intervention en Irak. »

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