Rock the casbah
Du rock arabe ? Certes, depuis Raïna Raï et Carte de séjour, le sujet n’est pas inexistant. Certains ont continué dans cette veine : Rachid Taha, Zebda ou Gnawa Diffusion. Plus proche de nous, Temerik electric, groupe des quartiers nord de Marseille, revendique le terme d’« Ar’bian rock ». En dehors de ça, y en a pas bezef non plus. Et avant les années 80 ? Walou ? Les interpénétrations entre la musique arabe et le rock’n’roll ont assurément pâti de la défiance réciproque du monde musulman et de l’impérialisme yankee. De même, on peut penser qu’avec la richesse des rythmes orientaux et la force des mélodies de la poésie chantée, les pays arabes n’avaient pas réellement besoin de produits d’importation au tempo binaire. Enfin, le rock avait jadis une réputation sulfureuse, annonciatrice de révolte de la jeunesse et de libération des mœurs, et pouvait s’avérer transgressif pour la société traditionnelle musulmane et les régimes autoritaires en place.
Pourtant, il existe bien quelques exemples de ce mezzé improbable : on peut évoquer le guitariste Omar Khorshid, sorte de Link Wray égyptien ; Les Abranis, groupe psyché kabyle au début des années 1970 ; ou encore,à la même période le groupe français Les Variations, dont la plupart des membres ont été bercés par la musique arabo-judéo-andalouse, interprètent plusieurs morceaux composés, dont « Kasbah Talda », par le violoniste tunisien Maurice Meimoun, qui avait aussi accompagné de grands noms de la musique arabe comme Hedi Jouini ou Farid El Atrache.
Mais s’il est un cas antérieur bien symptomatique du rendez-vous contrarié entre rythmes orientaux et convulsions
bebopalulesques, c’est celui du groupe Devil’s Anvil. En 1966, le producteur Félix Pappalardi traîne dans Greenwich Village en quête de musiciens originaires du Moyen-Orient afin de former un groupe à la confluence du rock garage-psychédélique et des sonorités grecques, turques et arabes, fusion que seul le melting-pot américain, et plus particulièrement new-yorkais, semble permettre alors. En 1967, sort l’album Hard rock from the Middle East, mêlant plusieurs titres traditionnels arabes dont « Hala La Laya », aussi interprété par Fairuz, « Selim Alai », déjà chanté par Leïla Mourad, et « Isme », une reprise d’El Atrache. Le groupe brasse de multiples instruments – oud, batterie, derbouka, tamboura, guitare électrique fuzz, accordéon, on y trouve aussi des morceaux interprétés en turc et en grec, ainsi qu’une reprise chantée (en anglais) du classique rebetiko « Misirlou ».
Le disque contient autant de tubes potentiels que de titres. Seulement voilà qu’éclate la guerre des Six Jours, qui va marquer le début du soutien inconditionnel du gouvernement étatsunien à la politique israélienne. Pas une seule radio américaine ne se permet de diffuser des morceaux chantés en arabe, ce qui n’est pas sans ironie étant donné que certains musiciens des Devil’s Anvil sont plutôt d’origine judéo-arabe. Un épisode qui rappelle le bannissement des ondes publiques qu’avait subi le single de la Mano negra « Sidi H’Bibi » en 1991 durant la guerre du Golfe. Les gros malins de la censure avaient dû confondre cette chanson d’amour populaire avec un appel au Jihad.
Après l’échec de leur album, l’expérience des Devil’s Anvil se termine aussi sec laissant un album impeccable mais condamné à l’oubli parce que victime des circonstances politiques.
Cet article a été publié dans
CQFD n°107 (janvier 2013)
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Paru dans CQFD n°107 (janvier 2013)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 12.03.2013
Dans CQFD n°107 (janvier 2013)
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