Imprimerie libertaire

Rien lâcher

VU DE LOIN, cet imposant bouquin ressemble à un beau recueil, bien bordélique, d’affiches anars. Aliénation du travail, peine de mort, enfermement, religions/sectes, patronat, OGM, nucléaire, flics, militaires et autres, se font joyeusement dégommer sur grands formats. Un vrai plaisir. Surtout que pour la plupart, ces affiches sont toujours d’actualité.

Mais dès qu’on commence à se plonger dans cet ouvrage, on s’aperçoit vite qu’il est en fait question d’un témoignage historique. Celui d’un groupe d’inorganisés toulousains qui lutte contre la connerie humaine et qui en quarante ans n’a jamais lâché la rampe. Une mauvaise troupe qui ferraille encore aujourd’hui pour favoriser l’autonomie, l’initiative et la liberté d’expression. Des « vieux de la vieille » qui n’ont jamais rendu les armes, et qui continuent d’harceler leur pire ennemi : la résignation.

Écrit collectivement, le livre débute donc sur une gueule de bois. Celle qui s’est abattue, à l’été 1968, sur ce groupe, formé sur la base d’opinions réfractaires au pouvoir, aux partis et étiquettes. Adeptes de l’expression libre, ces joyeux drilles vont d’abord se bricoler un atelier de sérigraphie itinérant, qui va éditer, à tour de bras, des affiches sur les inégalités sociales. Vient ensuite Le Contre Journal, un journal mural qui canarde à tout va sur les sujets de société de l’époque.

En 1973, ils lancent l’Association pour l’art et l’expression libre (AAEL) pour produire et imprimer des publications, brochures, affiches, livres. Et comme ils en ont marre de faire ça sur un coin de table, ils prennent un local. Coquin de sort, juste à côté de leur antre, un imprimeur artisanal est en train de plier boutique. Ils vont se démerder pour la lui racheter, se former aux métiers de l’imprimerie et s’installer au 34, rue des Blanchers. L’imprimerie 34 est née. À la même époque, le groupe est engagé à fond dans la lutte antifranquiste. Les fachos le savent. Et l’imprimerie va essuyer quatre attentats à l’explosif. À chaque fois, elle se relève.

En 1976, « ceux de 34 », comme on les appelle aujourd’hui, montent Basta, un journal qui accompagne les affiches et distille ses points de vue sur les évènements politiques et sociaux du moment. En 1984, l’imprimerie déménage et devient un an plus tard une coopérative ouvrière de production. Les inorganisés sont devenus imprimeurs et le moyen d’expression, un moyen de survie collectif. Mais l’engagement reste intact. La preuve avec cette descente de flics en 1985, synonyme de mois prison pour certains éléments du groupe. La raison ? L’explosion d’un transformateur EDF qui a plongé dans le noir la ville de Colomiers, à côté de Toulouse. Hasard, le même soir le FN y organisait une soirée dansante...

Aujourd’hui, les affiches de 34 égayent les luttes et manifestations de la ville. Le seul point noir de ce bouquin est l’absence d’un de ses rédacteurs pour fêter la sortie du bébé. Bernard Réglat a été emporté à l’âge de 70 ans par un cancer en septembre dernier. Instigateur du premier mouvement des chômeurs en mai 1968, il était la grande gueule du groupe. Celle qui se met en évidence, pour faire diversion. N’empêche que ce Gascon fourmillait d’idées géniales qu’il mettait aussitôt en pratique. Condamné par la médecine, il n’a jamais baissé les bras et quelques jours avant de se faire avaler par ce foutu crabe, il projetait de lancer au niveau national un Prix Papon pour récompenser le préfet le plus performant en matière d’expulsion. Le premier prix ? Un bâton de dynamite. Reste ce livre qui lui est dédié.

Affiches contre... de 1968 à nos jours, 296 pages, 30 euros. À commander à l’Association pour l’Art et l’Expression Libre, 8 rue de Bagnolet, 31100 Toulouse. 05 61 43 80 10.

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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