Réunion de crise

« Je vous le dis, je vais pas tenir trois ans avec eux !  » s’exclame un collègue à propos des élèves de la seconde « maçonnerie ». Le CPE nous a donné rendez-vous entre midi et deux pour discuter de cette classe particulièrement chahuteuse. À voir les tronches dépitées, personne ne semble très convaincu de l’utilité de cette rencontre. La première proposition du conseiller d’éducation ? Traverser la liste des élèves et donner notre avis sur chacun d’eux. Il faut trouver « le mouton noir  ». L’ennui c’est que dans cette classe d’une douzaine d’élèves, la moitié, au bas mot, ne joue pas le jeu. « Ils viennent en cours, ils foutent le bordel et ceux qui ont envie d’apprendre peuvent pas bosser !  » râle le prof de maçonnerie.

Le CPE propose de mettre en place des fiches de suivi individuelles sur lesquelles sera consignée l’attitude de l’élève lors de chaque cours. Alors qu’il bouillonnait dans un coin de la classe, le prof de Maths s’enflamme :« Mais ça sert à rien vos fiches ! Vous comprenez pas qu’on est, nous-mêmes, en souffrance ? Il y a quelques années un compas est passé à deux centimètres de ma tête !  » Une commission éducative alors ? On convoque les parents, le conseil d’administration et on leur remonte les bretelles ? Chahut et brouhaha dans l’assemblée : « On en a fait plein l’an dernier ! », « ça sert à rien !  »

Face à l’impasse, chacun y va de sa technique disciplinaire : « Moi s’ils bossent pas je les vire et leur donne des coloriages que j’affiche au mur. Ils ont pas fait le coloriage ? Je leur mets un zéro !  » Le CPE serre les dents : « Faudrait pas que la direction voit ça... » et le collègue de répondre « J’en ai plus rien à foutre ! Qu’ils viennent, je leur laisse ma place ! » Pas la première fois que je vois un prof s’énerver contre une direction déconnectée. Le CPE renvoie la balle : « Je crois comprendre que certains d’entre vous acceptent les élèves en retard… Sachez que ça n’aide pas non plus ! »

On regarde ce ping-pong avec peu d’entrain. La grande majorité de mes collègues semble ailleurs. Dans le fond, le sur-disciplinaire ne fait rêver personne et violente tout le monde : les élèves comme ceux qui l’exercent. Je repense aux mots du youtubeur et militant antiraciste Wissam Xelka, qui a grandi en quartier défavorisé : «  À 14 ans, ils sont déjà envoyés dans les mauvaises filières ! Si les élèves foutent le bordel, c’est presque une question de dignité ! Ils sauvent l’honneur !  »

Fin de la pause déjeuner. Retour en classe, amer. On travaille sur l’autobiographie et la discussion porte sur nos choix individuels. Sont-ils libres ou contraints ? Subtil, un élève demande : « Monsieur, vous avez choisi d’être prof par vous-même ou c’est comme nous, vous avez pas envie d’être là ?  »