Capture d’écran

Racisme en prime time

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c’est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations claquées. Ce mois-ci, notre reporter téméraire fait un pas de côté. Elle plonge dans le petit écran anglais, où un programme de téléréalité met en scène des racistes jouant aux réfugié·es.
Céleste Maurel

« Ce que je ferais, c’est installer des mines et faire sauter tout bateau qui s’approche à moins de 50 mètres, sans exception.  » Du haut des falaises de Douvres, face à la Manche, un Britannique se pavane, du haut de son racisme décomplexé. Il fait partie du casting de la nouvelle téléréalité diffusée depuis début février sur Channel 4, « Go Back to Where You Came From » (« Retourne d’où tu viens »). Sur TikTok et Instagram, jackpot : les images de ce programme nauséabond déferlent.

Le concept ? Six citoyen·nes britanniques – dont la moitié pue la xénophobie – sont envoyé·es en Somalie et en Syrie. Leur mission ? Regagner le Royaume-Uni en empruntant les mêmes routes que celles foulées par les réfugié·es. Le résultat ? Des épisodes ultra-scriptés, où les remarques racistes fusent depuis des 4x4 blindés dans lesquels les candidats débarquent.

L’idée serait de transformer la survie de millions de déplacé·es en un divertissement « pédagogique », afin de toucher un public peu réceptif aux questions migratoires

Dans les rues dévastées de Raqqa, Chloe affiche une moue renfrognée : « Ils devraient rester ici pour nettoyer. » En second plan, des gamin·es fouillent dans les poubelles. Parallèlement, l’autre équipe de clowns partie en Somalie observe, comme dans un safari, les habitant·es de Mogadiscio. Jess est en panique. Nathan, lui, parle d’« un trou à rat ».

Un des producteurs s’explique dans The Guardian  : l’émission serait destinée à « informer en toute discrétion  » via un programme à la fois « divertissant  » et apte à « aborder des problématiques complexes ». L’idée serait de transformer la survie de millions de déplacé·es en un divertissement « pédagogique », afin de toucher un public peu réceptif aux questions migratoires – parce que, paraît-il, les classes populaires sont « forcément racistes ». Vous le sentez le mépris de classe ?

La téléréalité, c’est un art que je maîtrise (plus cette info vous fait marrer, plus vous gagnez des points en snobisme), et non, ce registre audiovisuel n’est pas plébiscité par le prolétariat, bien au contraire. J’en suis la preuve vivante (je m’appelle Constance). Channel 4 déploie ici des arguments aussi creux que son émission tout en capitalisant sur une crise humanitaire monstrueuse. Rappelons que la même chaîne a diffusé en 2019 « The British Tribe Next Door  » (« La tribu britannique d’à côté ») dans laquelle une famille anglaise est installée, dans une réplique parfaite de leur maison pavillonnaire, au sein d’une communauté tribale en Namibie.

Fiona Murphy, professeure spécialisée dans les migrations à l’université de Dublin, analyse pour The Conversation  : « À la fin, les participants reviennent d’où ils viennent. Vers la sécurité, le confort, des maisons épargnées par la guerre ou l’exil. Ou, comme l’a dit l’un d’eux, vers le pub. Mais pour ceux qui cherchent refuge, le voyage se prolonge – à travers les camps frontaliers, les centres de détention, les portes d’entrée, le froid glacial et la bureaucratie du système d’asile – pendant que le monde regarde, puis éteint la télévision. » Alors… À quand un Fort Boyard pour personnes exilées ?

Constance Vilanova
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Cet article a été publié dans

CQFD n°239 (mars 2025)

Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.

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