La pénitentiaire se la joue gastro

Quand la prison se met à table

C’est à Marseille que va bientôt ouvrir le premier restaurant en prison de France accessible au public. Un établissement semi-gastronomique qui fleure bon le greenwashing carcéral tout en se voulant « chantier d’insertion ». Et qui ne risque pas d’améliorer les conditions de détention. À commencer par les problèmes de nourriture.
Illustration de Théo Bédard

En prison, la plupart des détenus ont un surnom. Lui, trapu, l’air bourru, c’est « le Russe ». Sa passion ? Le jardinage. Avec mille précautions, il arrose chacune des plantes de son drôle de jardin. Le soleil tape dur et les murs qui encerclent le potager renvoient la chaleur. Après avoir fini d’arroser, voilà qu’il propose ses tomates à la cantonade. Ça a quel goût, une tomate qui a poussé en prison ? Rouge et ronde, croquante et juteuse, elle ne semble guère différer de ses congénères. Il y a pourtant comme un arrière-goût...

Il en sera vraisemblablement de même pour les plats qui seront bientôt servis à la clientèle du premier restaurant carcéral hexagonal accessible au public. L’ouverture est prévue en octobre au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille : un resto semi-gastronomique d’une quarantaine de couverts avec, en cuisine comme en salle, des détenus. Le nom est d’un goût aussi douteux que l’initiative : Les Beaux Mets.

Sur son site web, la table promet une « expérience culinaire » et un «  moment savoureux ». Pas de barreaux aux fenêtres, une vue très partielle sur le reste de la prison et une déco tout en sobriété : il ne faudrait pas que les convives perdent l’appétit. Mais, on reste en prison. Pour manger aux Beaux Mets, il faudra réserver au plus tard 72 heures à l’avance, le temps que les casiers judiciaires soient passés au peigne fin. Et, à l’intérieur, comme dans toute prison, les poches ne devront contenir ni argent ni téléphone. Quant à l’alcool : proscrit.

« Chantier d’insertion »

Cette première hexagonale s’inspire d’établissements déjà existants en Italie et en Angleterre. La version française, à vocation com’ pénitentiaire, se trouvera à la SAS, la «  structure d’accompagnement vers la sortie ». Un quartier expérimental visant à éviter les sorties « sèches » pour la petite centaine de détenus en fin de peine qui y sont incarcérés. Car Les Beaux Mets se veut aussi « chantier d’insertion ». La dizaine de détenus qui s’activeront en salle comme en cuisine seront en effet formés (et payés, a minima au Smic horaire) pendant au moins quatre mois par une association, Festin, à l’origine de plusieurs projets mêlant social et cuisine.

La brigade s’agitera sous la houlette d’une cheffe passée – excusez du peu – par les cuisines de Gérald Passedat, le chef du Petit-Nice, la table multi-étoilée du front de mer marseillais (370 euros la bouillabaisse sans les vins). Aux Beaux Mets, les menus tourneront plus « modestement » autour de 20-30 euros et les plats seront réalisés avec des « produits frais, locaux et de saison ». Un comble, dans un établissement où la nourriture qui est servie d’ordinaire aurait bien du mal à trouver sa place dans le guide Michelin.

« Même un chien n’en voudrait pas »

La « gamelle » – comme on appelle le repas servi aux détenus – , porte malheureusement bien son nom. Aux antipodes du trois étoiles. Dans son dernier rapport d’inspection aux Baumettes, en mars 2020, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) indiquait en effet que « l’attention [...] a été attirée par des grammages et pré-conditionnements relativement faibles. À titre d’exemple, une pièce de viande de 110 g, une portion de fromage de 20 g, ou un dessert de 100 g. De tels conditionnements [...] peuvent aboutir à des repas insuffisants en quantité, en particulier pour des détenus [...] pratiquant un sport et/ou une activité rémunérée. » En clair, alors qu’aux Beaux Mets certains mettront bientôt les pieds sous la table, aux Baumettes, ceux qui sont enfermés n’ont pas assez à manger.

À la suite d’une mission d’inspection du ministère de la Justice datant de 2019, une «  commission restauration » avait pourtant déjà été mise en place dans le centre pénitentiaire. Preuve, si besoin est, qu’il y a quelques soucis. Outre les problèmes de quantité, il n’est pas rare que les barquettes en plastique servies de cellule en cellule finissent directement à la poubelle. La raison ? «  C’est dégueulasse ! Même un chien n’en voudrait pas ! » lâche un détenu. Au point qu’un de ses camarades de galère a rédigé un manuel pour « accommoder ou transformer les plats servis ». Las, visiblement ça ne suffit pas. « J’ai beau savoir cuisiner, souvent, c’est impossible de rattraper ou d’utiliser ce qu’on nous sert », renchérit un cuistot incarcéré.

Pendant ce temps, aux Beaux Mets, il se pourrait que des chefs s’invitent pour « signer » un plat ou animer une masterclass. La «  table bistronomique » pourrait même inscrire à sa carte les fruits et légumes produits en prison. Qui, jusqu’à présent, servaient aux détenus à améliorer l’ordinaire. Mais, avis aux gourmets : une tomate qui a poussé en détention, elle a beau être rouge et ronde, croquante et juteuse, elle a un goût amer.

Sébastien Homer

De l’air !

Pendant que d’un côté, la prison fait mine de s’ouvrir, de l’autre, elle n’en finit pas de se refermer. En 2019, la pénitentiaire équipe la partie la plus récente des Baumettes, nommée Baumettes 2, de fenêtres anti-bruit, pour un budget de 1,5 million d’euros. Le dispositif est supposé réduire les « nuisances sonores » dénoncées par les riverains. Avec, sans surprise, le relais du Rassemblement national (RN), notamment de la conseillère municipale et régionale Éléonore Bez qui, dans une vidéo, parle de l’« enfer » que vivent les voisins. Rien que ça.

Problème : ces fenêtres empêchent l’air de circuler. Dans son rapport de visite des Baumettes 2 en mars 2020, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait alerté sur le sujet des fenêtres anti-bruit. Réponse du ministère : « Un équipement de soufflerie a été installé pour compenser l’effet de “manque d’air” induit par le dispositif antibruit.  » Pas suffisant… Au point que le bâtonnier de Marseille a fait jouer cet été son droit de visite : « La plupart des détenus que j’ai rencontrés m’ont dit que, de jour comme de nuit, c’était insupportable », dira-t-il à la presse locale.

Début août, en réaction, des détenues de la maison d’arrêt pour femmes ont dégradé leurs fenêtres. À la clé, des sanctions disciplinaires. Fin septembre, elles ont saisi le tribunal administratif pour que soit nommé en urgence un expert chargé de se prononcer sur les conséquences de ce dispositif. En attendant la réponse du juge, le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti s’est rendu sur place pour annoncer la réparation des fenêtres, la pose d’un pare-vue sur le mur d’enceinte et des rondes contre les parloirs sauvages… Autrement dit, pile-poil ce que réclamait le RN.

Ce n’est pas fini. Une nouvelle extension des Baumettes est en projet, au sujet de laquelle le magazine TPBM, spécialisé dans le BTP et les travaux publics dans le Sud-Est, ne recule devant aucune obscénité : « Le centre pénitentiaire des Baumettes 3 rendra ses riverains plus libres », titre-t-il en août dernier. En effet, étant donné les problèmes de conception des Baumettes 2, la pénitentiaire a dû revoir sa copie pour « B3 ». Au programme, l’installation de « fenêtres de cellules innovantes ». L’Observatoire international des prisons ironise : « C’est-à-dire… des fenêtres qui ne s’ouvrent pas ? »

Au service com’ du CGLPL, on soupire que ça pourrait être pire. Comme à la prison de Caen, en 2018 : «  Il y a avait un problème de vis-à-vis, les détenus avaient vue sur les cellules des femmes. La solution trouvée ? Poser des plaques de métal aux fenêtres  » C’est pour ça qu’on appelle ça la « tôle » ?

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Cet article a été publié dans

CQFD n°213 (octobre 2022)

Dans ce numéro, un dossier sur l’inflation : « Les poches vides & la rage au ventre ». Mais aussi un appel à soutien, l’audacieuse tentative de la Quadrature du Net qui cherche à faire interdire la vidéosurveillance partout en France, un reportage dans une bourgade portugaise en lutte pour préserver des terres collectives face à une mine de lithium, une analyse sur l’Italie postfasciste...

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Paru dans CQFD n°213 (octobre 2022)
Par Sébastien Homer
Illustré par Théo Bedard

Mis en ligne le 28.10.2022