Sur la Sellette - Chroniques judiciaires
Place nette
Tarik M. comparaît pour détention de stupéfiants. Le président résume le dossier : « Vous avez 21 ans, vous vivez chez votre père à Balma [en banlieue de Toulouse], vous avez déjà été condamné en 2021 et 2022 pour cession, transport et détention de stupéfiants. Vous êtes sorti de prison fin mars sous le régime de la libération sous contrainte. Aujourd’hui vous comparaissez pour détention de cocaïne. On a trouvé sur vous 24 bonbonnes de 20 g. Je vous ai déjà dit que vous pouviez garder le silence ? De toute façon, vous avez l’habitude, hein ! »
Le prévenu veut répondre à cette allusion, mais le président s’empresse de continuer : « Vous avez été arrêté dans le cadre de l’opération dite “place nette” à Toulouse. En plus de la cocaïne, on a aussi trouvé sur vous 1 800 €. »
Le prévenu essaie de rectifier quelque chose mais se fait tout de suite rabrouer :
— Ce ne sont tout de même pas les policiers qui vous ont mis cet argent dans la poche !
— Mais ce n’est pas…
— De toute façon, ce ne sont pas des éléments discutables.
Comme en garde à vue, Tarik M. maintient qu’il s’agit de sa consommation personnelle et que l’argent lui a été prêté par un ami. Ça fait rire le président : « Vous ne croyez pas qu’il y aurait des explications plus valables ? Vous vous baladez avec 1 800 € sur vous et 24 bonbonnes de cocaïne sur une place connue pour être un lieu de trafic… »
La procureure partage sa conviction : « Tarek N. s’apprêtait sans doute à vendre cette cocaïne ! » Elle se rappelle in extremis qu’il faut individualiser la peine, et extrait laborieusement quelques « éléments de personnalité » du dossier : « Il est célibataire, il n’a pas d’enfant. Son parcours est chaotique. Il est suivi par la Mission locale. Il a seulement un CAP. Dix jours après être sorti de prison, il a déjà renoué avec son passé délinquant. Visiblement, Tarek N. n’a initié aucune réflexion, même si dans certaines des déclarations qu’il a faites en garde à vue, on décèle qu’il ne veut pas retourner en prison. Mais il ne l’a pas vraiment conscientisé. »
Pour l’accompagner dans cette démarche de conscientisation, elle demande deux ans de prison.
Le prévenu est resté debout pendant toutes les réquisitions. Le président lui signale qu’il peut s’asseoir, mais Tarik M. essaie de dire quelque chose :
— Je…
— Asseyez-vous je vous dis.
— Mais je ne m’appelle pas comme ça…
— Taisez-vous !
Son avocate veut convaincre que son client est plus clairvoyant que ce que les magistrat·es pensent : « La dernière fois qu’il a comparu devant vous, l’audience était très chargée et il était plus de 20 h. Je lui ai demandé si ça ne l’embêtait pas de reporter, parce que sinon on allait finir à pas d’heure. Il m’a répondu : “Pas de problème, moi je vais en détention de toute façon, je le sais.” Avec ces mots à lui, il vous dit qu’il a compris qu’il avait fait quelque chose de mal. »
Le président propose comme d’habitude au prévenu de dire un dernier mot : « Je n’ai rien à vous dire. » Tarik M. est condamné à un an de prison et maintenu en détention.
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Cet article a été publié dans
CQFD n° 231 (juin 2024)
Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !
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Paru dans CQFD n° 231 (juin 2024)
Par
Illustré par Bertoyas
Mis en ligne le 21.06.2024
Dans CQFD n° 231 (juin 2024)
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